Après que l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 « portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations » (que nous appellerons simplement « la réforme de 2016 ») ait refondu le code civil, sa loi de ratification est venue, le 20 avril 20181, réformer cette réforme. Il y a donc trois régimes à connaître : l’ancien, celui issu de l’ordonnance et celui issu de la loi de ratification. Les règles de l’application dans le temps de ces réformes doivent être connues parfaitement.

Nous commencerons par détailler les dispositions relatives à l’application dans le temps de ces régimes (I). Nous verrons ensuite les difficultés qui se posent, notamment en cas de modification des contrats (II). Pour aller plus loin :

  • François C., « Application dans le temps et incidence sur la jurisprudence antérieure de l’ordonnance de réforme du droit des contrats », D.2016.506 ; Chantepie G., « L’application dans le temps de la réforme du droit des contrats », AJ Contrat 2016, p.412
  • Sur les effets de la réforme en général : Barbier H., « Les grands mouvements du droit commun des contrats après l’ordonnance du 10 février 2016 », RTD Civ. 2016.247 ; Cohet F., « Incidences en matière de transactions immobilières », AJDI 2016.324 ; Coutant-Lapalus C., « L’impact des règles relatives à l’effet du contrat (1) », RDI 2016.348 ;

I. Principes généraux

1. L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016

Les principes de l’application dans le temps de la réforme sont prévus par l’article 9 de l’ordonnance :

« Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016.

Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne.

Toutefois, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont applicables dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance.

Lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s’applique également en appel et en cassation. »

L’exception prévue au troisième alinéa concerne les « actions interrogatoires ».

L’article 1123§3-4 prévoit par exemple la possibilité pour un tiers à un pacte de préférence de demander au bénéficiaire de ce dernier de confirmer l’existence du pacte et s’il entend de s’en prévaloir. La véritable force de ce dispositif est que l’absence de réponse emporte des effets juridiques : « le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat. »

L’article 1158 permet au contractant doutant des prérogatives du représentant de l’autre contractant de s’en assurer. Enfin, l’article 1183 permet, si un contrat est potentiellement nul, d’imposer au contractant pouvant se prévaloir de la nullité de confirmer le contrat ou d’agir en nullité.2

2. La loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131

L’application dans le temps de la loi de ratification est prévue par son article 16 :

La présente loi entre en vigueur le 1er octobre 2018.
Les articles 1110, 1117, 1137, 1145, 1161, 1171, 1223, 1327 et 1343-3 du code civil et les articles L. 112-5-1 et L. 211-40-1 du code monétaire et financier, dans leur rédaction résultant de la présente loi, sont applicables aux actes juridiques conclus ou établis à compter de son entrée en vigueur.
Les modifications apportées par la présente loi aux articles 1112,1143,1165,1216-3,1217,1221,1304-4,1305-5,1327-1,1328-1,1347-6 et 1352-4 du code civil ont un caractère interprétatif.

On a donc deux régimes : certaines dispositions vont remplacer directement celles issues de l’ordonnance par voie d’interprétation ; d’autres ne seront applicables que pour les actes « conclus ou établis »3 après le 1er octobre 2018. Nous verrons en détail ce que cela implique dans la section suivante.

L’article 16 prévoit également dans son III :

« Le deuxième alinéa de l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est complété par les mots : «, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public ». Le présent III est applicable à compter du 1er octobre 2016. »

Cette disposition a pour objet d’empêcher l’application immédiate des dispositions issues de l’ordonnance aux litiges en cours. L’efficacité de cette disposition semble très douteuse : « Si le texte entend interdire au juge la possibilité d’invoquer les effets légaux du contrat et les dispositions d’ordre public de la loi nouvelle, il n’empêche pas celui-ci d’appliquer immédiatement l’ordonnance, par anticipation ou, plus exactement, par inspiration. » (Roda, AJ Contrat 2018.313)

II. Difficultés et contrats modifiés

Les difficultés portent essentiellement sur la date à laquelle le contrat est réputé avoir été conclu. Les contrats peuvent être modifiés de mille-et-une façons : dation en paiement, novation, avenant, cession, reconduction, subrogation, etc.

1. Modification et novation

Tout d’abord : Est-ce que la modification d’un contrat à une date lui rend applicable le droit en vigueur aux contrats conclus à cette date ? La réponse est positive dans le cas de la novation, qui « a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée. » (Art.1329§1)

Au contraire, la simple modification ne change pas en principe le droit applicable : le contrat survit. Mais est-ce que l’acte de modification est soumis au nouveau droit ? On peut penser que oui, sans en être certain.

Sur le sujet, vous pouvez consulter notre commentaire de l’arrêt Civ.1, 24 avril 2013, n°11-26.597.

Pour aller plus loin :

  • Flour et al. t.3, p.451-453 ; Houtcieff, p.415-432 (sur la notion de modification)

2. Renouvellement et transfert

Le contrat renouvelé ou reconduit est un nouveau contrat, au contraire de la prorogation, qui prolonge la durée initialement prévue au contrat.

En cas de transfert d’obligation, celle-ci survit à l’échange, on peut donc penser que c’est toujours la date de sa conclusion qui importe pour savoir si la réforme de 2016 s’applique ou non. Toutefois, l’acte de transfert est, lui, nouveau et devrait être soumis à la réforme.

3. Autres difficultés

Les difficultés ne s’arrêtent pas aux seules modifications. Par exemple, quel est le régime des fautes antérieures au 1er octobre 2016 relatives aux pourparlers en vue d’un contrat qui sera conclu après cette date ? On peut supposer que, s’agissant d’un fait juridique, il faudra appliquer le droit en vigueur à la date de la faute. Les choses se compliquent s’agissant des fautes précontractuelles se rattachant étroitement au contrat, comme la violence ou le dol (AJ Contrat 2016.412).

De même, quel droit sera applicable à des ensembles de contrats dont les conclusions s’étendent sur la période avant et après l’entrée en vigueur de l’ordonnance (ex : contrats-cadres).

Il faut également noter que le juge peut appliquer la réforme en modifiant sa jurisprudence pour en fait l’application anticipée4.

Je n’approfondis pas : il s’agit d’un sujet complexe qui sera un sujet important de discussion dans le futur, lorsque ces cas limites surviendront.

1 De son nom complet : « Loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations »

2 Notez que toutes les trois ont des conditions de forme très similaires : elles doivent être écrites, mentionner l’effet en cas de non-réponse et ont un effet en cas de non-réponse au bout de quelques mois.

3 Cette nuance est intrigante. Je ne vois pas quelle portait elle pourrait revêtir, mais il me semble utile de la retenir.

4 Sur ce point : Lamy, Droit des contrat, §100-260 ; « La Cour de cassation applique déjà la réforme du droit des contrats », AJ Contrat 2017.97