La faute est définie par l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile, ainsi que par l’avant-projet Catala comme étant « la violation d’une règle de conduite imposée par la loi ou le manquement au devoir général de prudence ou de diligence ».

Loin de ne concerner que le régime fondé sur l’article 1240 et 1241 du code civil, cette notion est présente tout au long du droit des obligations. On la retrouve notamment derrière la « faute de la victime » ; la faute lourde interdisant de se prévaloir d’une clause limitative de responsabilité ; la faute inexcusable qui peut diminuer le droit à indemnisation d’un accidenté de la route, etc.

Nous traiterons de la faute en général avant d’étudier les formes spéciales (lourde, grave et inexcusable) qu’elle peut revêtir.

Cette partie s’inscrit dans la partie sur les règles générales du droit des obligations de notre manuel de droit des obligations.

I. La faute en général

Établir une faute, c’est avant tout comparer : est-ce qu’une personne ordinaire normalement attentive ou diligente aurait fait cela ? Il faut donc avant tout savoir quelle est cette personne : quelles sont ses caractéristiques ? C’est la question de savoir si la faute est objective ou subjective.

Une faute (presque) objective

La loi semble aller dans le sens d’une faute objective avec l’article 414-3 : « Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation. » Les arrêts Lemaire et Derguini (Plén., 5 mai 1984, no80-93.031 et n°80-93.481) ont également laissé penser que l’appréciation devait être totalement objective, c’est-à-dire que, peu importe la personne, son comportement allait être comparé à celui d’un « bon père de famille ».

Dans le premier arrêt, un enfant étant mort en vissant une ampoule suite au montage défectueux d’un électricien. La Cour de cassation a décidé que l’enfant (de 13 ans) « aurait dû, avant de visser l’ampoule, couper le courant en actionnant le disjoncteur », et, jugeant que la Cour d’appel, qui n’était pas tenue de vérifier si le mineur était capable de discerner les conséquences de son acte, avait pu conclure à un partage de la responsabilité entre l’enfant et l’électricien.

Dans le second, il s’agissait d’une enfant de 5 ans qui avait fait irruption sur la route et s’était fait renverser par une voiture. Dans les deux cas, la Cour de cassation affirme encore que la Cour d’appel « n’était pas tenue de vérifier si le mineur était capable de discerner les conséquences de son acte » et qu’elle avait donc pu conclure à un partage de responsabilité, l’enfant ayant traversé imprudemment.1

Par la suite, la jurisprudence a nuancé ces solutions : si l’approche reste objective, elle prend en compte des éléments relatifs à l’auteur de la faute. Les éléments pris en compte varient. Selon Brusorio-Aillaud (p.50) : « En pratique, l’abstraction n’est pas totale. Les juges choisissent un modèle abstrait selon certains critères : professions, âge … et tiennent parfois compte d’autres éléments, telles l’urgence ou les difficultés particulières pour l’exécution d’un acte. En revanche, ils écartent ceux trop subjectifs telles l’intelligence ou l’émotivité. »

L’état mental pourra être pris en compte à d’autres niveaux, par exemple pour définir si une faute est intentionnelle ou non. (Civ. 1re, 25 mars 1991, n°88-15.973).

À ne pas noter dans vos copies : la distinction entre faute objective ou subjective n’a de sens que si la première implique qu’aucune caractéristique ne soit prise en compte et si la seconde que toutes les caractéristiques soient prises en compte. En effet, sinon on pourrait encore qualifier d’objective la faute prenant en compte le poids, l’état d’esprit, la formation, etc. Ce serait absurde et viderait de toute signification cette dichotomie.

La conception de la faute en vigueur n’est donc ni objective ni subjective. En ce sens, Terré et al. (p.785) écrivent : « A la limite, il y a, entre l’appréciation in concreto et l’appréciation in abstracto, moins une différence de nature qu’une différence de degré. »

L’abus de droit

Si la violation d’une loi ou d’un règlement est une faute, le fait d’agir conformément aux règles ou même en y étant autorisé administrativement n’est pas exonérant. Abuser d’un droit peut en effet être fautif. L’exemple le plus connu est l’arrêt Clément-Baillard : une personne avait abusé de son droit de propriété en érigeant des pointes vers le ciel, de sorte à percer les ballons (dirigeables ?) de son voisin. (Req., 3 aout 1915).

D’après Brusorio-Aillaud (p.43), « Les juges examinent le but recherché et les moyens employés. […] Il y a abus lors que le droit est détourné de sa finalité normale, rendant son exercice illégitime : absence d’utilité d’un acte ; choix, parmi plusieurs solutions possibles, de la plus préjudiciable à autrui ; exercice du droit avec une légèreté blâmable. » Terré et al. (p.797-798) reprennent globalement cette idée d’acte anormal, précisant toutefois que la jurisprudence « n’en reste pas moins rebelle à une systématisation ».

Nous allons voir que l’abus de droit est présent dans tout le droit des obligations, notamment en droit des contrats, à travers la rupture abusive des pourparlers ou de la résiliation abusive du contrat. Les poursuites ou menaces de voies de droit abusives peuvent aussi être sanctionnées.

Pour aller plus loin :

  • Terré et al., p.795-801 ; Malaurie et al., p.69-74

II. Les fautes

Si la faute en général est appréciée de manière relativement objective, sa gravité est souvent appréciée de manière plus concrète.

La faute simple

La faute simple est sans doute la plus importante. Elle est le fait générateur du régime prévu aux articles 1240 et 1241, mais aussi de la responsabilité du fait des bâtiments en ruine ou des instituteurs (Art.1242).

La faute peut aussi, lorsqu’elle est commise par la victime, diminuer le droit à indemnisation de cette dernière. Nous en parlons plus en détail dans la prochaine section.

La faute grave

La faute grave n’est pas utile en droit des obligation et concerne surtout le droit du travail. D’après M.Poumarède, elle serait assez proche de la faute lourde2.

La faute lourde

En droit des contrats, la faute lourde est « caractérisée par une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission contractuelle » (Mixte, 22 avril 2005, commenté, Chronopost). Elle prive d’effet (comme la faute dolosive) les clauses limitant la responsabilité de la personne qui la commet ainsi que la limitation de l’indemnisation au seul dommage prévisible au moment de la conclusion du contrat (ce qui est la règle en matière contractuelle).

Comme l’illustre l’arrêt du 29 octobre 2014 (Civ.1, commenté), cette faute est très concrète : il faudra prendre en compte la qualité du débiteur (amateur, professionnel), les caractéristiques de la prestation, le comportement qu’il aurait du avoir, etc.

Un courant jurisprudentiel avait pendant un temps défendu l’idée d’une faute lourde « objective » : elle se déduirait de ses conséquences ou de la nature essentielle ou non de l’obligation méconnue. D’après Mazeaud (D.2015 p.188), elle est obsolète. Toutefois, on la retrouve encore dans des répertoires3 ou des manuels. Aucun, pour l’étayer, ne produit d’arrêt postérieur à l’arrêt Chronopost de 2005.

1Pour plus de détails :

http://fdv.univ-lyon3.fr/moodle/file.php/1/FPV2/Droit%20civil/Droit_des_obligations_-_Responsabilite_civile/obligations_responsabilit_civile_responsabilit_enfant.pdf

http://www.Courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport_2002_140/deuxieme_partie_tudes_documents_143/tudes_theme_responsabilite_145/pere_mere_6112.html

2 Dalloz action Droit de la responsabilité et des contrats, Chapitre 2 – Qualifications de l’inexécution contractuelle, §3549 et s.

3 Dalloz action Droit de la responsabilité et des contrats, §3586 ;

Arrêts:

La faute inexcusable

La faute inexcusable est importante dans le régime des accidents de la route. Si la victime d’un tel accident a commis une faute inexcusable, elle peut ne pas être indemnisée. Le juge la définit comme étant une « faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » (Civ.2, 20 juillet 1987, n°86-16.287).

Elle est très restrictivement entendue et l’objet d’une casuistique difficile à systématiser.

Elle est également importante en cas d’accident du travail, ce qui dépasse le champ du droit des obligations.

La faute intentionnelle (le dol)

La faute intentionnelle ou dolosive est la plus grave des fautes que nous venons de voir.

La notion de dol est utile dans de nombreux domaines : le régime des accidents de la route, le consentement à un contrat, l’effet des clauses limitatives de responsabilité … Sa définition varie souvent en fonction de son application. Les variations/problèmes portent essentiellement sur l’étendue de l’intention : seul l’acte fautif doit-il être intentionnel ou ses conséquences dommageables doivent-elles également l’être ?

Par exemple, en matière d’exécution contractuelle la Cour de cassation a jugé que « le débiteur commet une faute dolosive lorsque, de propos délibéré, il se refuse à exécuter ses obligations contractuelles, même si ce refus n’est pas dicté par l’intention de nuire à son cocontractant » (Civ.1, 4 février 1969, n°67-11.387) Cette solution est constante1 (ex : Civ.3, 5 janvier 2017, n°15-22.772).

Notez que la gravité de l’inexécution n’est pas en soi suffisante pour caractériser la faute dolosive. (Civ.3, 12 juillet 2018, n°17-19.701)

S’agissant la formation du contrat, le dol sera caractérisé à partir du moment où il y a une intention d’induire le cocontractant en erreur, que ce soit en ne mentionnant pas une information qu’on sait importante ou bien en la dissimulant carrément. Cette fois c’est donc l’effet qui doit être recherché.

Il ne semble pas qu’une personne aliénée puisse faire preuve d’intention. Ainsi, la Cour de cassation a refusé de voir l’intention de l’auteur d’un incendie ayant volontairement incendié un salon de coiffure, mais ayant bénéficié d’une ordonnance de non-lieu pour état de démence au moment des faits. (Civ.1, 25 mars 1991, n°88-15.973).

Pour aller plus loin :

  • D.Houtcieff, p.546 à 550 ; Bénabent, p.319-323 ; Brusorio-Aillaud, p.50-51, 283-284 ;
  • Dalloz action Droit de la responsabilité et des contrats, Chapitre 2,Qualifications de l’inexécution contractuelle, §3508 et s.
  • Laithier Y-M., « La connaissance de l’étendue du dommage causé n’est pas un élément constitutif de la faute dolosive », RDC 2018, n°2, p.187
  • 1Dalloz action Droit de la responsabilité et des contrats, Chapitre 2, Qualifications de l’inexécution contractuelle, §3511 et s.