Dans les causes d’exonération totale de la responsabilité, on distingue souvent cas fortuit, cas de force majeure, fait d’un tiers, fait de la victime1 ou fait du prince. La première distinction est discutée (Terré et al., p.632), certains soutenant que l’ensemble cas fortuit inclut les quatre autres. Seul le terme de cause étrangère semble faire consensus : elle englobe ces cinq notions. Le point commun entre ces dernières est qu’elles doivent avoir les caractéristiques de la force majeure pour être exonératoires.

Cette observation a pour seul objet de vous aider à comprendre la problématique : il est impératif de continuer à distinguer force majeure, fait d’un tiers/de la victime/du prince (et ne parlez pas du cas fortuit si vous pouvez l’éviter). Je tenterai de faire la distinction, mais ce ne sera pas systématique (notamment parce que les commentateurs ne la font pas systématiquement) et parlerai de force majeure en général.

Les effets de la force majeure

La force majeure a pour effet d’annuler entièrement la responsabilité, tout simplement. C’est tout ou rien.

Les conditions de la force majeure

La force majeure est sans doute le motif d’exonération le plus présent en droit. Toutefois, ses critères sont tellement stricts, qu’il est rare que le juge la reconnaisse. En responsabilité délictuelle, son fondement est jurisprudentiel et pour les contrats, elle est fondée sur l’article 1218§1 :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »

On distingue 3 critères :

  • l’imprévisibilité, qui s’apprécie par rapport à la personne souhaitant s’exonérer à un certain moment (« la conclusion du contrat en matière contractuelle et date du fait générateur en matière délictuelle »2).
  • l’irrésistibilité.
  • l’extériorité, qui ne s’entend pas au sens biologique. Ainsi, le juge a admis qu’un cancer pouvait constituer un cas de force majeure. Ce critère exclut les événements auxquels la victime a participé par son action ou sa négligence.3

La casuistique est dominante. Je vais donc vous présenter quelques affaires importantes, puis nous discuterons du dernier arrêt portant sur « l’affaire Xynthia ».

Civ. 1, 3 juillet 2002, n°99-20.217 : Une personne avait été agressée dans un train SNCF et poursuivit la compagnie en réparation. Celle-ci opposa la force majeure, n’ayant pu empêcher l’agression.

La Cour de cassation rejeta cette éventualité au motif que les agressions n’étaient pas imprévisibles et qu’aucune mesure de prévention (par exemple en faisant parcourir les wagons par un nombre suffisant de contrôleurs) n’avait été prise. On retrouve le même principe dans un arrêt du 12 décembre 2000 (Civ.1, n°98-20.635).

Plén., 14 avril 2006, n°04-18.902 : Une femme se suicida en se jetant sous le métro. Son mari poursuivit donc la RATP.

La Cour de cassation estima qu’il s’agissait d’un cas de force majeure, l’événement ayant été imprévisible (« aucun des préposés de la RATP ne pouvait deviner sa volonté de se précipiter contre la rame ») et irrésistible (« il n’avait été constaté aucun manquement aux règles de sécurité imposées à l’exploitant du réseau et que celui-ci ne saurait se voir reprocher de ne pas prendre toutes mesures rendant impossible le passage à l’acte de personnes ayant la volonté » de se suicider).

Civ.2, 16 septembre 2010, n°09-66.800 : Le 15 juillet 2003, une tempête renversa l’arbre d’un jardin sur la propriété de son voisin. Météo-France avait mis la zone en alerte orange.

La Cour de cassation a tout de même estimé que cet orage était un cas de force majeure, les vents ayant été extrêmes (158km/h), ce qui n’avait pas été prévu par les services météorologiques. Elle précise que cet événement est « d’une violence exceptionnelle comparable à la tempête ayant précédemment frappé la même région en décembre 1999 ».

Cet arrêt n’est pas sans laisser dubitatif : si une tempête comparable a frappé l’endroit 4 ans plus tôt, n’est-ce pas que le sinistre était prévisible ? De plus, qu’aurait changé le fait que le propriétaire de l’arbre sache qu’il allait y avoir des vents de 158km/h ?

Civ.2, 2 avril 2009, n°08-11.191 : Après des orages répétés en 2003, deux coulées de boues (fin mars et le 3 juillet) venant d’une propriété endommagèrent celle d’un voisin.

La Cour de cassation jugea « qu’il résulte du rapport d’expertise que pour Météo France la périodicité de l’événement climatique en cause est statistiquement supérieure à vingt ans pour des orages exceptionnels sur un même site ; qu’une période de pluviosité particulièrement élevée suivie d’un orage d’une violence exceptionnelle sont des faits extérieurs, imprévisibles, irrésistibles et insurmontables constitutifs de la force majeure ».

1 Notez que ce fait n’a pas besoin d’être fautif.

2 P.Grosser, « Pertinence des critères cumulés pour caractériser la force majeure en matières délictuelle et contractuelle », JCP G n°23, 7 Juin 2006, II 10087

3 Brusorio-Aillaud (p.292) affirme que l’extériorité n’est plus un critère depuis la réforme. Pourtant, ce n’est que textuellement qu’elle est absente : déjà en 2006 elle était conçue comme une extériorité au contrôle du débiteur, permettant que la maladie soit une cause de force majeure. Son allégation est donc extrêmement discutable, et tout laisse à penser qu’il n’y a pas eu de changement.