En principe, la preuve est libre et le juge est souverain pour apprécier leur force probante. Toutefois, cette liberté est limitée :

  • la preuve ne peut pas être illicite, c’est-à-dire être déloyale ou violer un droit (à la vie privée, à la défense …) ;
  • la preuve est encadrée par des conditions de forme, comme la nécessité d’un écrit pour prouver un acte juridique dépassant une certaine valeur.

La licéité de la preuve

L’illicéité de la preuve entraîne son exclusion : le juge doit l’ignorer. Une preuve est illicite si sa production contredit une norme juridique, comme le respect de la vie privée (Soc., 2 octobre 2001, n°99-42.942, Nikon).

Actualité

Soc., 1er juin 2017, n°15-23.522 : Un employé s’était fait renvoyer pour faute en raison de emails qu’il a reçus et envoyés par sa messagerie professionnelle. Il est constant depuis l’arrêt Nikon (Soc., 2 octobre 2001, n°99-42.942), que le respect de la vie privée du salarié s’étendait, même au temps et lieu de travail, à ses correspondances, même reçues ou émises par un ordinateur de son employeur.

Toutefois, plusieurs arrêts sont venus préciser que de tels emails étaient présumés avoir « un caractère professionnel en sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé, sauf s’ils sont identifiés comme personnels » (Soc., 26 juin 2012, n°11-15.310). Cela a notamment permis à un employeur de produire des mails érotiques que s’envoyaient deux employés via leur messagerie professionnelle (Soc., 5 juillet 2011, n°10-17.284).

En l’espèce, les mails ne devaient pas être marqués comme personnels et le salarié ne pouvait pas s’opposer à leur production sur le fondement de cette jurisprudence. Toutefois, il opposa que la messagerie électronique utilisée aurait dû faire l’objet d’une déclaration à la CNIL par l’employeur. La déclaration n’ayant pas été faite, il prétendait que cette faute entachait d’illicéité les preuves produites.

L’arrêt d’appel accueillant son argument a été cassé au motif que cette faute « ne rend pas illicite la production en justice des courriels adressés par l’employeur ou par le salarié dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés et conservés par le système informatique ».

La Cour de cassation avait rendu une solution parfaitement contraire dans un arrêt du 8 octobre 2014 (Soc., n° 13-14.991).

La loyauté de la preuve

Parmi les motifs entraînant l’illicéité d’une preuve, on trouve la déloyauté1. Selon Verges et al. (2015, p.376), sont déloyales les preuves recueillies à l’insu de la personne contre laquelle elles sont produites ou obtenues à l’aide d’un stratagème.

Cette règle a notamment été rappelée par l’arrêt du 7 janvier 2011 (Plén., n°09-14.316), concernant l’utilisation de discussions téléphoniques enregistrées à l’insu des participants. Un distributeur avait transmis au conseil de la concurrence des enregistrements téléphoniques impliquant les sociétés Philips et Sony et prouvant leurs pratiques anticoncurrentielles. La Cour a rappelé, sur le fondement des articles 9 du CPC et 6§1 de la CEDH2, le principe selon lequel « l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ».

La preuve par écrit de l’acte juridique

  1. Principe

L’une des principales limitations à la liberté de la preuve est l’obligation pour un acte juridique portant sur une valeur excédant 1500€ d’être prouvé par écrit (Art. 1359§1).

L’appréciation de ce montant ne dépend pas des demandes du plaignant, mais de l’enjeu du contrat :

« Celui dont la créance excède le seuil mentionné au premier alinéa ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande.

Il en est de même de celui dont la demande, même inférieure à ce montant, porte sur le solde ou sur une partie d’une créance supérieure à ce montant. »(Art.1359§3-4)

Pour prouver ces actes juridiques, il faut donc une preuve écrite et non pas de simples témoignages ou présomptions. Cette règle ne concerne pas les tiers à l’acte, pour lesquels le contrat est un fait juridique et peut donc être prouvé par tout moyen (Civ.1, 3 juin 2015, 14-19.825).

Seuls l’existence et le contenu de l’acte juridique nécessitent un écrit. Par exemple, l’intention libérale d’un défunt peut se déduire d’un testament révoqué (Civ.1, 19 mars 2014, n°13-14.139).

  1. Exceptions

Il est fait exception à ces règles « en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. » (Art.1360) L’impossibilité morale sera notamment constituée dans le cadre de relations familiales (Civ.3, 14 janvier 2014, n°12-28.777), de « liens d’affection très étroits et très anciens unissant les parties » (Civ.1, 29 janvier 2014, n°12-27.186). Elle peut également résulter d’un usage professionnel établi (Com., 22 mars 2011, n°09-72.426).

Enfin, notez qu’il « peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve » (Art.1361).

1 Je ne suis pas sûr à 100 % de cette inclusion de la déloyauté à l’ensemble « illicéité ».

2 La solution n’était pas nouvelle (Civ.2, 7 octobre 2004, n°03-12.653), la principale question était de savoir si c’étaient les règles de la procédure civile ou pénale qui s’appliquait.