Personnes responsables
Le producteur et les personnes lui étant assimilées sont en principe responsables. Si aucun producteur ne peut-être identifié, c’est le distributeur qui peut être responsable.
Le producteur et les personnes assimilées
Le producteur est défini par l’article 1245-5 comme étant, « lorsqu’il agit à titre professionnel, le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première, le fabricant d’une partie composante. »
L’article continue en précisant qu’est
« assimilée à un producteur pour l’application du présent chapitre toute personne agissant à titre professionnel:
1° Qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif;
2° Qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d’une vente, d’une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution.
Toutefois, sont exclues du champ de cet article « les personnes dont la responsabilité peut être recherchée sur le fondement des articles 1792 à 1792-6 et 1646-1. » Ces articles sont en fait un régime de responsabilité spécifique au constructeur d’un immeuble.
La CJUE (21 décembre 2011, n°C-495/10) a décidé que le prestataire de service (un hôpital en l’espèce) ne pouvait pas être assimilé à un producteur et sortait du champ de la directive. Cette solution a notamment été reprise par l’arrêt du 12 juillet 2012 (Civ.1, n°11-17.510).
Si le défaut n’affecte qu’un composant du produit, l’article 1245-7 prévoit que « le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l’incorporation sont solidairement responsables ».
Notons que le producteur de l’élément défectueux pourra alors s’exonérer en prouvant que le défaut n’était pas présent après qu’il se fût dessaisi de son produit.
Les responsables en l’absence de producteur
L’article 1245-6 permet à la victime, lorsque le producteur ne peut pas être identifié,d’attaquer« le vendeur, le loueur, à l’exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel ».
La personne poursuivie peut alors se dégager de sa responsabilité en désignant son propre fournisseur ou le producteur dans les 3 mois suivant la notification de la demande. Sinon, elle peut encore agir contre le producteur. Son action suit les mêmes règles que la demande émanant de la victime directe et se prescrit un an après la citation en justice.
Actualité
Civ.1, 15 mars 2017, n°15-27.740 : Une prothèse de hanche s’était brisée moins de deux ans après sa pose. La victime a conclu un accord amiable avec le producteur, mais son employeur, ayant subi un préjudice du fait de l’indisposition de son salarié, assigna le producteur de la prothèse (X) en réparation et obtint gain de cause. Ce dernier se retourna alors contre le producteur du composant de la hanche s’étant brisé (Y).
Cette action s’est toutefois produite plus d’un an après « l’année suivant la date de sa citation en justice » (Art.1245-6). La Cour d’appel avait appliqué cette prescription et rejeté les prétentions de X. Son arrêt est cassé au motif que X étant un producteur, l’article 1245-6 ne s’appliquait pas.
Les motifs d’exonération
Les exonérations spécifiques
L’article 1245-10 décrit les moyens pour le producteur de se dégager de sa responsabilité. Seuls les 4° et 5° sont de vraies causes d’exonération. Les autres ne sont que le moyen de prouver que les conditions pour engager la responsabilité ne sont pas remplies :
4o Que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut;
5o Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d’ordre législatif ou réglementaire.
Le producteur de la partie composante n’est pas non plus responsable s’il établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit.
Le 5° ne semble pas poser problème.
Le 4° prévoit « l‘exonération pour risque de développement ». La CJUE en a précisé la nature en posant que le producteur devait « établir que l’état objectif des connaissances techniques et scientifiques, en ce compris son niveau le plus avancé, au moment de la mise en circulation du produit en cause, ne permettait pas de déceler le défaut de celui-ci. » Il fallait bien sûr que la connaissance ait été accessible « au moment de la mise en circulation du produit en cause. » (CJUE, 29 mai 1997, n°C-300/95)
Ce motif d’exonération est toutefois inopérant « lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci. » (Art.1245-11)
Les exonérations classiques
La faute de la victime est un motif d’exonération prévu par l’article 1245-12 :
La responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d’une personne dont la victime est responsable.
Cela est même étendu aux personnes dont la victime est responsable, ce qui inclut probablement les préposés et les enfants. L’article 1245-13 exclut spécifiquement que le fait d’un tiers soit une source d’exonération :
« La responsabilité du producteur envers la victime n’est pas réduite par le fait d’un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage. »
Les clauses limitatives de responsabilité sont privées d’effet, sauf entre professionnels pour les dommages professionnels, par l’article 1245-14.
Dommage, preuve et prescription
Le dommage indemnisable
Peuvent être indemnisés les préjudices corporels et les préjudices matériels excédant 500€ résultant d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même (Article 1245-1). Le dommage causé au bien défectueux devra être indemnisé sur un autre fondement.
Notez que la réparation des dommages causés aux biens professionnels utilisés à cette fin est une spécificité du régime français1, leur indemnisation étant hors du champs de la directive (CJUE, 4 juin 2009, Moteurs Leroy Somer, n°C-285/08). Ils ne peuvent donc pas être réparés avant l’entrée en vigueur de la loi de 1998.
Actualité
Civ.1, 1er juillet 2015, n°14-18.391 : Un fabricant, après avoir constaté l’existence d’un défaut dans sa production pouvant entrainer l’apparition de débris de verre à l’intérieur de ses bouteilles, prévint son client qui dut immobiliser les lots (de bouteilles de vin) concernés. Ce dernier a demandé l’indemnisation du préjudice en résultant.
La Cour d’appel « retient que le seul préjudice invoqué est un préjudice économique constitué par des moins-values ou une perte de marge et consécutif à la mévente des bouteilles, de sorte qu’étant en lien direct avec les défectuosités du produit lui-même, ce dommage n’est pas indemnisable ».
Cette décision est cassée au motif que ce préjudice résultait du « caractère impropre à la consommation du vin ».
Civ.1, 14 octobre 2015 n°14-13.847 : Un voilier avait démâté lors d’une navigation. L’assureur du propriétaire ayant dû l’indemniser se retourna contre le fabricant. La Cour d’appel décida que devaient être indemnisés « les dommages constitués par le coût des travaux de remise en état du bateau ainsi que par les pertes de loyers et le préjudice de jouissance résultant de l’impossibilité de l’utiliser ». La Cour de cassation cassa l’arrêt au motif « qu’il n’était pas constaté que la défectuosité du produit consistait en un défaut de sécurité ayant causé un dommage à une personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même ».
Ainsi, les dommages résultant d’une atteinte au produit défectueux incluent non seulement ceux liés à « l’atteinte matérielle au produit (coût des réparations, du remplacement) », mais aussi ceux en étant « des conséquences indirectes (troubles d’usage et de jouissance, pertes de loyers, pertes d’exploitation) ». (RTD Civ. 2016 p.137)
La charge de la preuve
Le demandeur n’a pas à prouver l’antériorité du défaut, seulement « le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. » (Art.1245-8) De même pour la mise en circulation (Art.1245-10). Ce sont des présomptions simples.
Prescription
Il y a deux prescriptions alternatives (il suffit que l’une d’elles soit écoulée pour que le droit soit prescrit). La première est prévue par l’article 1245-15 :
Sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent chapitre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n’ait engagé une action en justice.
L’article laisse entendre que la faute du producteur est la seule raison qui puisse repousser le délai, excluant les causes habituelles de suspension ou d’interruption de la prescription. Je n’ai pas la réponse.
La seconde est prévue par l’article 1245-16 :
« L’action en réparation fondée sur les dispositions du présent chapitre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur. »
Notons que le texte fait référence à une connaissance « qu’aurait dû avoir » la victime. Elle ne peut donc pas « se prévaloir de sa propre négligence pour retarder la prescription de son action »2.
1 Attention à l’erreur du manuel Delebecque et Pansier (p.234) sur ce point.
2 Répertoire Dalloz, entrée « Responsabilité du fait des produits défectueux », §95