La responsabilité des commettants est une responsabilité sans faute pesant sur les commettants (souvent des entreprises ou artisans) du fait de leurs préposés (souvent des employés). Elle est fondée sur l’article 1242§5 du code civil :

« Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés »

Un acte dans le cadre de ses fonctions

La responsabilité des commettants du fait des préposés suppose « un acte dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ». Le commettant peut s’exonérer en démontrant que :

  • « son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé,
  • sans autorisation,
  • et à des fins étrangères à ses attributions » (Plén., 19 mai 1988, n°87-82.654).

Ces trois conditions sont cumulatives. On parle alors d’abus de fonction. Cette triple condition est très restrictive et ne porte que sur le contexte de la faute, pas son ampleur : même les infractions pénales intentionnelles graves des préposés peuvent engager la responsabilité du commettant (viols : Civ.2, 17 mars 2011, n°10-14.468).

La jurisprudence a récemment dégagé une condition supplémentaire pour que soit reconnu l’abus de fonction : il faut que la victime ait pu légitimement croire que le préposé n’agissait pas à l’occasion de ses fonctions (Civ.2, 7 février 2013, n°11-25.582).

Il faut que l’acte du préposé ait été de nature, en faisant abstraction du lien de préposition, à engager sa propre responsabilité personnelle, par exemple en faisant une faute (ex : Civ.2, 8 avril 2004, n°03-11.653) ou bien en conduisant un véhicule impliqué dans un accident de la circulation (Crim., 27 mai 2014, n°13-80.849).

La responsabilité tombe alors sur le commettant. C’est une responsabilité en deux temps. Le commettant peut opposer à la victime les faits justificatifs que le préposé aurait pu lui opposer, comme la légitime défense ou l’état de nécessité (Brusorio-Aillaud, p.59).

Le lien de préposition

Ce régime repose sur l’autorité du commettant sur le préposé. Ce lien a été clairement défini par l’arrêt du 4 mai 1937 (Civ.) : la qualité de commettant « suppose que ce dernier a eu le droit de donner au préposé des ordres ou des instructions sur la manière de remplir les fonctions auxquelles il est employé ». On le définit aussi comme « le pouvoir de commandement et de direction ». Cela inclut le lien de subordination (et donc le contrat de travail), mais ne s’y réduit pas. Il n’est pas non plus limité aux contrats en général et peut se déduire de tout élément (Civ.2, 16 novembre 2006, n°05-19.973).

Notez qu’il est indifférent que l’acte soit réalisé au profit du commettant ou non (Civ.2, 17 décembre 1964, n°63-107.91).

Voici quelques exemples :

  • un jockey a été jugé être le préposé du propriétaire du cheval qu’il chevauchait durant la course (Civ.2, 26 octobre 2000, n°98-19.387)
  • un footballer professionnel est le préposé du club qui l’emploie (Civ.2, 8 avril 2003, n°03-11.653) ;
  • Un lycéen stagiaire non-rémunéré d’une entreprise a été jugé ne pas en être le préposé (Civ.2, 20 décembre 2007, n°07-11.679)

La qualité de préposé peut être éphémère. Ainsi, un pilote d’avion (Civ.2, 6 février 2003, n°01-16.380), dont l’appareil a été dérouté pour lutter contre un incendie, était devenu temporairement le préposé du service départemental ayant donné cet ordre.

La qualité de commettant est alternative : si un salarié est placé en détachement chez une autre entreprise, cette dernière en devient le commettant et l’employeur initial ne l’est plus (Civ., 4 mai 1937). En cas de succession de commettant, il s’agit « de savoir qui avait le pouvoir de donner des ordres lorsque le préposé a commis la faute » (Malaurie et al., p.92).

Actualité

Civ.2, 18 mai 2017, n°16-18.421 : M.X avait loué un chariot-élévateur avec chauffeur. Alors qu’il mesurait une grume de bois soulevée par l’engin, celle-ci tomba et le blessa. (L’un des problèmes de cet arrêt concernait le régime des accidents de la route. Ce n’était pas un accident de la circulation.)

La Cour de cassation jugea que le conducteur était devenu le préposé de M.X au motif « qu’il lui donnait les ordres nécessaires à l’accomplissement de son travail de mesurage ».

La protection du préposé

L’arrêt Costedoat (Plén., 25 février 2000, n° 97-17.378) est l’arrêt fondateur de l’immunité du préposé : « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ». La Cour de cassation a appliqué cette solution aux accidents de la route avec un arrêt du 28 mai 2009 (Civ.2, n°08-13.310).

Cette protection a deux types de limites : le contexte et/ou l’ampleur de la faute commise.

  • L’aspect circonstanciel avait été posé par l’arrêt Costedoat. Il est plus large que celui de l’abus de fonction : il est plus fréquent d’excéder les limites de sa mission que d’agir « hors de ses fonctions ».
  • L’intensité de la faute fait perdre le bénéfice de la protection en cas d’infractions pénales intentionnelles (Plén., 14 décembre 2001, Cousin, n°00-82.066) ou non-intentionnelles (Crim., 28 mars 2006 n°05-82.975) ou de faute « intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales » (Com., 20 mai 2003, Seusse, n°99-17.092).

Qu’en est-il des infractions matérielles2 ? La question s’est posée dans plusieurs arrêts concernant les gérants d’entreprise de construction n’assurant pas leurs chantiers, ce qui est une infraction pénale matérielle3. Un arrêt a jugé que le préposé était responsable au motif que la gérante « avait sciemment accepté d’ouvrir le chantier litigieux sans que la société X fût couverte par une assurance garantissant la responsabilité décennale des constructeurs » (Com., 28 septembre 2010, n°09-66.255). La solution a été reprise par la troisième chambre civile dans un arrêt du 10 mars 2016 (n°14-15.326).

Une question s’est posée récemment : dans l’hypothèse où le préposé poursuit un tiers pour le dommage qu’il lui a causé, le tiers peut-il lui opposer sa faute ?

La Cour de cassation a répondu que oui : « le préposé qui poursuit la réparation du préjudice que lui aurait personnellement causé un tiers, lui-même cocontractant de son commettant, peut se voir opposer sa propre faute par ce tiers » (Com., 10 décembre 2013, n°11-22.188).

Le recours du commettant ?

Est-ce que le commettant peut se retourner contre son préposé ? La Cour répond que l’immunité du préposé le protège d’une telle action. Il pourra néanmoins rechercher la responsabilité du préposé pour « faute dans l’exécution du contrat de travail », mais il s’agit de droit du travail. (Civ.2, 20 décembre 2007, n°07-13.403).

1

2 Infractions pour lesquelles la volonté ou la négligence de leur auteur n’est pas un élément constitutif.

3 L. 111-34 du code de la construction et de l’habitation et L. 243-3 du code des assurances