La responsabilité du fait des choses a été pour la première fois reconnue par l’arrêt Teffaine de 1896 comme se fondant sur l’article 1242§1. L’arrêt Jand’heur du 13 février 1930 a fait de ce régime une responsabilité de plein droit. L’arrêt du 20 novembre 1968 (Civ.2, n°66-12.644) est ensuite venu préciser que ce régime de responsabilité était fondé sur la garde de la chose et non plus une présomption de faute. Le principe actuel est qu’on est responsable des dommages causés par les choses dont on a la garde.

La principale difficulté est la notion de garde.

La notion

Le gardien est celui qui détient « l’usage, la direction et le contrôle » de la chose. (Chambres réunies, 2 décembre 1941, Franck) Cette définition est entendue souplement. La garde peut être très éphémère : est gardien d’une bouteille gisant au sol celui qui frappe dedans (Civ.2, 10 février 1982, n°81-40.495) et d’une arme celui qui l’arrache des mains de son propriétaire pour tenter de la casser sur du béton (Civ.2, 21 novembre 1990, n°89-19.401).

La garde suppose tout de même un certain degré de maîtrise de la chose. En tentant de s’appuyer sur une pierre lors d’un exercice, un grimpeur l’avait faite tomber sur la personne en dessous. Le juge a estimé que sa maîtrise de la chose était insuffisante pour caractériser la garde (Civ.2, 24 avril 2003, n°00-16.732). Le discernement n’est pas un prérequis de la garde et un enfant peut être gardien (Plén., 9 mai 1984, n°80-14.994, Gabillet).

Le préposé ne peut pas être gardien, l’état de subordination dans lequel il se trouve étant incompatible avec le fait qu’il ait la maîtrise de la chose. Cette règle cède en cas d’abus de fonction du préposé (Ex : Civ.2, 24 janvier 1996, n°93-20.240). Le propriétaire est présumé être gardien. Cette présomption vaut même s’il ignore être propriétaire (Civ.3, 5 nov. 2015, n°14-20.845).

Le transfert de garde

Si la garde est établie (ou présumée), le défendeur pourra éventuellement opposer qu’elle avait été transférée. La garde sera transférée en cas de vol (cf arrêt Franck) et dans beaucoup de contrats, comme le contrat de bail, de réparation, d’emprunt, etc. Dans tous les cas, le transfert s’opère lorsqu’une autre personne obtient réellement le pouvoir sur la chose.

Lorsque le propriétaire garde une maîtrise même infime du bien, il n’y a souvent pas de transfert. Par exemple, il n’y a pas transfert de garde lorsque le propriétaire d’une tondeuse laisse quelqu’un d’autre l’utiliser dans son jardin (Civ.2, 19 juin 2003, n°01-17.575).

Garde de la structure et garde du comportement

Le transfert de maîtrise n’est jamais vraiment total, car une chose s’inscrit toujours dans le temps. La personne d’un bien n’a pas de contrôle sur la manière dont elle a été conçue, ou bien sur son entretien passé. Ainsi, on distingue classiquement entre garde de la structure et garde du comportement.

Cette distinction a été inaugurée par l’arrêt Oxygène liquide du5 janvier 1956 (Civ.2, n°56-02.126), portant sur l’explosion d’une bouteille d’oxygène comprimé au cours de son acheminement. Cette distinction a perdu beaucoup de son intérêt avec l’apparition du régime des produits défectueux (RTD Civ. 2001 p.372). Cette distinction est encore d’actualité, mais son application est exceptionnelle (Fages, p.353).

La garde collective

En principe, la garde est alternative : il ne peut y avoir qu’un gardien (Malaurie et al., p.118). Toutefois, dans certains cas, le juge estime que la chose est gardée par un ensemble de personnes. Cette construction semble essentiellement reprendre la causalité alternative dont nous avons parlé plus tôt : lorsqu’un groupe est certainement responsable, mais que l’auteur exact du dommage est indéterminé, tous sont solidairement responsables. Il faut également qu’aucun membre n’ait un rôle prépondérant, comme le skipper d’un navire (Civ.2, 9 mai 1990, n°89-11.428) ou bien le conducteur d’un side-car (Civ.2, 14 avril 2016, n°15-17.732).

Par exemple, à l’occasion d’un mariage, une salve de coups de fusil est tirée … et deux personnes sont blessées. Les tireurs coupables n’ayant pas été identifiés, l’ensemble des personnes ayant tiré ont été jugées responsables. (Civ.2, 15 décembre 1980, n°79-11.314)

Contrairement à la causalité alternative, la garde collective a également un rôle d’exclusion de responsabilité.

  • Lors d’un match de tennis, l’un des tirs d’un joueur éborgne l’autre. La Cour de cassation a estimé « qu’au moment de l’accident, chaque joueur exerçait sur la balle les mêmes pouvoirs de direction et de contrôle ». La victime, étant elle-même gardienne, ne pouvait donc pas se prévaloir de la responsabilité du fait des choses (Civ.2, 20 novembre 1968 n°66-12.644).
  • Lors de son abattage par quatre personnes, un arbre tomba et blessa l’un des bûcherons. La Cour de cassation a jugé que les bûcherons exerçaient en commun les pouvoirs de contrôle et de direction qui caractérisent la garde (Civ.2, 25 novembre 1999 n°97-20.343).