La gestion d’affaires concerne les opérations réalisées par une personne (le gérant) dans l’intérêt d’une autre (le maître d’affaire) en dehors de toute obligation. Ce régime consiste à permettre l’indemnisation du premier, tout en protégeant le second.

Pour aller plus loin :

  • Bénabent, p.343-350 ; Malaurie et al., p.599-605

I. Condition d’application

Les conditions sont prévues par l’article 1301 du code civil :

« Celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire, est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire. »

Il n’y a pas de condition particulière relative aux relations ou aux qualités des parties. Les conditions portent sur l’acte lui-même :

  • l’acte doit être intentionnel et ne pas être la satisfaction d’une obligation.
  • il doit être utile au maître de l’affaire (c’est le terme pour désigner la personne bénéficiant de la gestion) et porter sur son patrimoine.
  • le consentement du maître de l’affaire doit rester inexprimé.

L’intention libre de gérer l’affaire d’autrui

La volonté du gérant doit être libre. Elle ne doit résulter d’aucune obligation, qu’elle soit légale, contractuelle ou naturelle.

On dira souvent qu’il faut que cette volonté soit spontanée. Toutefois, c’est absolument faux : peu importe que les sommes versées aient été demandées par quelqu’un, c’est l’absence d’obligation qui compte (Civ.1, 22 mars 2012, n°11-10.616).

La volonté du gérant doit avoir pour motivation déterminante de gérer l’affaire d’autrui. Selon Malaurie et al. (p.602), c’est cette intention qui « distingue la gestion d’affaires de l’enrichissement injustifié ».

Cette condition n’interdit toutefois pas que l’acte soit aussi utile au gérant (Civ.1, 12 jan 2012 10-24.512). Nous verrons que cela limitera simplement son indemnisation.

Arrêts:

Une gestion utile

L’utilité de la gestion s’apprécie au moment de l’accomplissement des actes.

On peut trouver des cas limites, qui ne s’inscrivent pas vraiment dans cette grille de lecture. L’exemple le plus parlant est celui d’un arrêt du 12 janvier 1999 (Com., n°96-11.026), concernant la cession, par une banque d’affaire, des titres de son client. La Cour de cassation a jugé que, la banque s’étant « bornée à invoquer l’utilité de l’aliénation des titres de son client pour justifier la gestion d’affaires alléguée, sans prétendre établir que son client pouvait être raisonnablement considéré comme ne pouvant agir lui-même ni caractériser la gravité des risques que le maintien de la situation pouvait lui faire courir », elle n’avait pas établi l’utilité de sa gestion.

Notez que ce critère n’a pas besoin d’être recherché si le maître de l’affaire a ratifié les décisions du gérant (Com., 4 décembre 1972, n°71-11.729).

Arrêts:

La volonté inexprimée du maître de l’affaire

Il est impératif que la volonté du maître de l’affaire reste inexprimée, sans quoi il s’agirait d’un mandat ordinaire. S’agissant de sa connaissance ou non de la gestion, le juge a clairement posé que cela était indifférent (Civ.1, 19 février 2014, commenté). On peut se demander jusqu’où va cette règle : n’est-il pas possible de reconnaître un mandat tacite ? Je n’ai pas d’élément de réponse clair, mais au vu des faits de l’arrêt sus-cité, on peut en douter.

Arrêts:

II. Les effets : protéger les protagonistes

Comme nous l’avons écrit, le but de la gestion d’affaires est de protéger les protagonistes, qu’il s’agisse des tiers, du gérant ou du maître de l’ouvrage.

Protéger les tiers

Les tiers pourraient avoir besoin d’être protégé dans l’hypothèse où le gérant eut contracté avec eux en les laissant croire qu’il agit au nom du maître de l’affaire.

Avant la réforme, le maître de l’affaire devait « remplir les engagements que le gérant a contractés en son nom » et « l’indemniser de tous les engagements personnels qu’il a pris » (Art. 1375 anc.).

Il en résultait notamment que le maître n’était pas tenu de remplir les engagements pris par le gérant si ce dernier agissait en son nom propre, même si ces engagements étaient pris dans l’intérêt du gérant (Malaurie et al., p.605). Cette solution est remise en question par la nouvelle formulation de l’article 1301-2 §1 :

Celui dont l’affaire a été utilement gérée doit remplir les engagements contractés dans son intérêt par le gérant.

Protéger le maître de l’affaire

Globalement, le gérant est soumis « à toutes les obligations d’un mandataire » (Art.1301). Celles-ci sont prévues par les articles 1991 à 1993. L’article 1301-1 en rajoute quelques-unes. Cela implique :

  • que le gérant est responsable de ses fautes, même légères, mais « la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement » que s’il était rémunéré de sa gestion (Art. 1992). Le juge peut, « selon les circonstances, modérer l’indemnité due au maître de l’affaire en raison des fautes ou de la négligence du gérant. » (art.1301-1)
  • il « est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant. » (Art. 1993)
  • il est aussi tenu de tenu « d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé » (Art. 1991) et de « poursuivre la gestion jusqu’à ce que le maître de l’affaire ou son successeur soit en mesure d’y pourvoir. » (Art. 1301-1)
  • Il est enfin tenu « d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins d’une personne raisonnable ». (Art. 1301-1)

La gestion d’affaires peut également donner le pouvoir de licencier un salarié (Soc., 23 mai 2017, n°16-10.760).

Rembourser le gérant

La gestion d’affaires a bien sûr pour objet de rembourser le gérant, ce que prévoit l’article 1301-2 :

§2 Il rembourse au gérant les dépenses faites dans son intérêt et l’indemnise des dommages qu’il a subis en raison de sa gestion.

§3 Les sommes avancées par le gérant portent intérêt du jour du paiement.

La gestion est un ensemble indivisible : « Une fois l’utilité de la gestion établie et s’agissant d’une seule affaire, il n’est pas permis au maître de diviser la gestion, de manière à n’être obligé d’indemniser le gérant de ses dépenses que pour celles des opérations qui sont avantageuses et de n’avoir pas à lui rembourser les frais nécessités par celles qui ne le seraient point. » (Code civil Dalloz, Note sous l’article 1301 à propos de Req. 28 février 1910)

L’indemnisation ne doit pas impliquer le paiement d’une rémunération, seulement « le remboursement de toutes les dépenses utiles ou nécessaires qu’il a faites » (Com., 15 décembre 1992, n°90-19.608). Il ne doit pas s’enrichir.

On peut se demander à quel point la notion de « dommage » est étendue. En effet, l’admission du manque à gagner serait probablement contraire à l’esprit de la règle qui est « que le gérant ne doit subir aucune perte, mais ne doit pas non plus tirer profit de sa gestion. » (Malaurie et al., p.605)

On notera enfin une originalité du régime, qui est que les « sommes avancées par le gérant portent intérêt du jour du paiement » (Art. 1301-2 §3) et non pas à partir de la mise en demeure de les rembourser (ce qui découlerait de l’application du droit commun, prévu à l’article 1231-6).

L’article 1301-4 consacre une solution assez ancienne (ex : Civ.1, 28 mai 1991, n°89-20.258) :

L’intérêt personnel du gérant à se charger de l’affaire d’autrui n’exclut pas l’application des règles de la gestion d’affaires.

Dans ce cas, la charge des engagements, des dépenses et des dommages se répartit à proportion des intérêts de chacun dans l’affaire commune.