Ce sujet, en apparence simple, est en fait d’une complexité redoutable. Cela vient du fait que la notion d’obligation d’information recouvre une myriade d’obligations spéciales d’intensités variables : obligations de renseignement, obligations de mise en garde, obligations de conseil et obligations de conseil renforcées (Malaurie et al.p.424).1

C’est dans ce cadre qu’intervient l’article 1112-1, créé par la réforme, créant une obligation d’information précontractuelle générale par-dessus cette multitude d’obligations spécifiques … Réussir à voir ce qu’il change ne sera pas facile et je ne pourrais vous en donner qu’un aperçu.

Notez que je ne parle pas ici des obligations d’information contractuelles, qui ressortent de l’exécution du contrat, même si la distinction peut être ténue (Malaurie et al., p.427).

Pour aller plus loin :

  • Houtcieff, p.175-188 ; Fages, p.101-105 ; Malaurie et al., p.421-427 ; Andreu et Tomassin, p.100-104
  • Civ.1, 28 sept. 2016, n°15-17.033 ; RDC 2017, n°01, p.39 (sur la relativité du devoir d’information)
  • Fabre-Magnan M, « Le devoir d’information dans les contrats : essai de tableau général après la réforme », JCP G 2016, n°25, p.706 ; Mekki M., « Fiche pratique sur le clair-obscur de l’obligation précontractuelle d’information », Gaz.Pal 2016, n°14, p.15 ;
  • Fages B., « La conclusion du contrat et les vices du consentement dans la loi de ratification du 20 avril 2018 », RDC 2018, n°Hors-serie, p.15

1 Houtcieff affirme que ces obligations sont distinctes de l’obligation d’information (p.176). Toutefois, s’il démontre que ces obligations ne sont pas de « simples » obligations d’information, il ne démontre pas qu’elles ne sont pas des obligations d’information. Les englober au sein de cette catégorie semble donc justifié. Je ne détaille pas, ce sont des débats théoriques peu intéressants et sans portée.

Auparavant : un nuage d’obligations

Avant, la réforme de 2016, il y avait un nuage d’obligations d’information spéciales, en plus de l’obligation d’information impliquée par les règles de la réticence dolosive (supposant la volonté de tromper son cocontractant).

Comme la réticence dolosive, les obligations d’information s’appréciaient en général relativement au différentiel de compétence entre les cocontractants. Par exemple, un fournisseur/vendeur était tenu à un devoir d’information moindre si son cocontractant est un professionnel et non un particulier, d’autant moins s’il est compétent dans le domaine du contrat (ex : Civ.3, 19 janvier 2017 ; 13 octobre 2016, commentés ; Com., 19 février 2002, 99-13.100).

Arrêts:

La généralisation de l’obligation

Il n’y a aucun consensus sur le point de savoir si la réforme changera les solutions adoptées. Alors que certains auteurs (Malaurie et al, p.424 ; etc.) ainsi que le rapport rendu au Président de la République semblent considérer que cette réforme s’est faite à droit constant, d’autres affirment que cette réforme est « loin d’être une simple consolidation de l’acquis jurisprudentiel » (Mekki, Gaz.Pal 2016, n°14,p.15).

Plusieurs obligations d’informations relatives à des contrats spéciaux trouvaient leur source dans la jurisprudence. L’arrivée d’une loi va-t-elle écraser ces solutions ? Je n’ai pas trouvé d’étude s’attachant à l’évaluer sérieusement.

Voici le nouvel article 1112-1 :

« Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter ni exclure ce devoir.

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »

On peut essentiellement dégager deux éléments nécessaires pour caractériser le manquement :

  • l’information retenue doit être déterminante pour l’errans
  • l’ignorance ou la confiance de l’errans doit être légitime

Enfin, notez que l’article 1112-1§4 prévoit que la charge de la preuve de l’accomplissement de l’obligation d’information pèse sur son débiteur, ce que la jurisprudence reconnaissait déjà (Ex : Civ.1, 3 février 1998, n°96-13.201).

Nous avons dit que les obligations d’information pouvaient prendre plusieurs formes : un devoir de conseil, de mise en garde, etc. Il est possible que cela ne soit pas remis en question par le nouvel article : ce dernier ne poserait qu’un socle, le juge devrait donc être libre de l’étendre ou d’y ajouter des obligations dans certains cas.

La nature déterminante de l’information

Il n’est pas nécessaire que la rétention d’information ait été volontaire, ce qui distingue le présent dispositif de la réticence dolosive1. Ainsi, il n’est probablement pas nécessaire que le débiteur de l’obligation ait dû connaître que l’information retenue ait été déterminante pour l’errans. Cette solution, déjà énoncée par la Cour de cassation (Civ.1, 14 mai 2009, n°08-16.395), pesait ordinairement sur le professionnel.

Notez que « ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation. » (Art.1112-1§2)

Une ignorance légitime

L’impératif de légitimité de l’ignorance limite fortement le poids de la présente obligation. En outre, cela implique qu’elle protège davantage le contractant profane que le contractant professionnel. Je ne pense pas qu’il y ait d’évolution sur ce point : cette mécanique me semble présente dans toutes les obligations d’information.

Il y a une discussion pour savoir si la nature légitime de l’ignorance suppose une obligation de s’informer ou non. La doctrine estimait déjà qu’ « une partie ne peut légitimement ignorer une information qu’elle prétend pour elle déterminante si elle ne s’est pas d’abord informée par elle-même alors qu’elle l’aurait pu ». Les travaux préparatoires à la loi de ratification confirment cette interprétation. (Fages, RDC 2018, n°Hors-serie, p.15)

Une obligation pesant sur les parties

L’obligation d’information est limitée aux parties. Cela exclut les tiers, comme les rédacteurs d’acte (notaires/avocat).

L’obligation pèse sur toute les parties. Premièrement, cela invalidera sans doute la jurisprudence Baldus sur la vente (Civ.1, 3 mai 2000, commenté infra), refusant qu’une obligation d’information pèse sur l’acheteur. (JCP G 2016, n°25, p.706)

Ensuite, si la nature avertie ou non du créancier est prise en compte à travers la légitimité de l’ignorance, elle est totalement ignorée pour le débiteur. Cela signifie-t-il qu’un simple particulier serait traité aussi sévèrement qu’un professionnel si son cocontractant ignorait un élément déterminant ?

Selon Houtcieff, c’est improbable : « Il paraît cependant difficile d’en déduire que les compétences du débiteur du devoir d’information ne doivent pas être prises en compte » (p.179). En effet, l’information ignorée du créancier doit être connue du débiteur. La différence de compétence pourrait être prise en compte au moment d’estimer si le débiteur a eu connaissance de l’information ignorée ou non : le professionnel peut être présumé irréfragablement avoir eu connaissance de l’information.

Dans le même sens, M.Fabre-Magnan estime que la nouvelle règle « n’empêchera cependant pas les juges de continuer à appliquer la règle classique selon laquelle l’ignorance illégitime d’une information peut être assimilée à sa connaissance. » (JCP G 2016, n°25, p.706)

Au contraire, selon M.Mekki : « Il n’y a donc plus d’obligation de se renseigner pour informer, du moins en droit commun des contrats. » (D. 2016 p.494)

Comme je l’ai dit, la doctrine affirme largement que la présente obligation s’est faite à droit constant, mais en est-on sûr ?2

1 Nous approfondirons la comparaison après avoir vu la réticence dolosive dans la prochaine section.

2 Houtcieff (p.180) l’évoque rapidement et laisse entendre que ce n’était pas le cas, en se bornant à citer plusieurs arrêts anciens supposés illustrer le poids de l’obligation d’information sur les particuliers. Ces arrêts portent en substance sur le dol (Civ.3, 30 juin 1992, n°90-19.093), la garantie des vices cachés (Civ.1, 24 novembre 1976, n°74-12.352) ou des relations entre particulier (Civ.3, 28 juin 2000, n°98-20.376 ; Com., 6 janvier 1982, n°80-15.979). Cela me semble très peu convaincant.

Arrêts:

La charge de la preuve

La charge de la preuve est prévue au quatrième alinéa de l’article 1112-1 :

Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.

Selon M.Mekki (Gaz.Pal 2016, n°14, p.15), cette solution serait contraire à la jurisprudence du 25 février 1997 (Civ.1, n°94-19.685), faisant reposer la charge de la preuve de l’exécution de l’obligation d’information (contractuelle/légale) du médecin sur ce dernier. Toutefois, cela supposait tout de même de prouver que l’obligation existait et qu’une information était due. Par exemple, dans l’arrêt cité, le juge imposait au médecin de prouver qu’il avait informé son patient d’un risque. Il était donc admis implicitement que ce risque était une information due.