Les négociations peuvent être l’objet de convention. On parle alors d’ « avant-contrats » ou de « précontrats », les principaux étant le pacte de préférence et la promesse.
Le pacte de préférence
« S’il fallait établir une hiérarchie entre les contrats préparatoires, le pacte de préférence serait au plus bas de l’échelle normative. » (M.Mekki, D. 2017. 375)
Le pacte de préférence est défini comme « le contrat par lequel une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de contracter. » (Art.1123) Il s’agit en son principe d’un contrat comme un autre et le bien sur lequel porte le pacte doit être suffisamment déterminé ou déterminable. Toutefois, sa durée, comme la détermination du prix de prestation, ne sont pas des conditions de sa validité (Civ.1, 6 juin 2001, n°98-20.673).
L’infraction au pacte est caractérisée lorsqu’une partie ne propose pas d’abord le contrat au bénéficiaire de la promesse. S’il est refusé, il peut librement contracter avec des tiers, à des conditions, semble-t-il, équivalentes ou moins avantageuses. En effet, il serait trop simple de proposer une offre aberrante au bénéficiaire de la promesse pour le pousser à refuser et se libérer de la promesse.
Prenons par exemple l’arrêt du 29 janvier 2003 (Civ.3, n°01-03.707). Un pacte de préférence avait été conclu à propos d’un bien immobilier le 2 avril 1984. Une offre de vente a été notifiée aux bénéficiaires le 25 novembre 1987 pour le prix de 90 000 francs. Elle a été refusée. Le 18 novembre 1994, le bien a été vendu à une tierce personne pour le même prix. Les bénéficiaires ont engagé une action en nullité de cette vente au motif qu’elle était intervenue en violation de leur droit de préférence. La Cour d’appel leur avait donné raison au motif que, compte tenu de l’évolution du marché immobilier dans la région, la cession a eu lieu à des conditions beaucoup plus avantageuses que celles contenues dans l’offre du 25 novembre 1987, de sorte que les bénéficiaires conservaient leur droit de préférence. Son arrêt est cassé au motif que la vente du bien avait eu lieu au même prix que celui proposé aux demandeurs.
Notez qu’un pacte de préférence ne peut prévaloir sur un droit de préemption légal (Civ.3, 24 mars 2016, commenté). Ainsi, si le promettant signe un bail sur une habitation étant l’objet d’un pacte de préférence, ce dernier sera réputé enfreint (Civ.3, 1er avril 1992, n°90-16.985).
La violation du pacte peut entraîner l’allocation de dommage et intérêts incluant la perte de chance de réaliser un gain ou même l’intégralité du gain espéré (Com., 20 septembre 2016, commenté).
Elle peut également entraîner la substitution du bénéficiaire de la promesse au tiers ayant contracté à sa place à la double condition « que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte de préférence l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir » (Mixte, 26 mai 2006, n°03-19.376).
Cette solution est consacrée par le nouvel article 1123§2, selon lequel :
« Lorsqu’un contrat est conclu avec un tiers en violation d’un pacte de préférence, le bénéficiaire peut obtenir la réparation du préjudice subi. Lorsque le tiers connaissait l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, ce dernier peut également agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu. »1
Pour anticiper les litiges, la réforme a créé avec l’article 1123§3-4 une action interrogatoire au profit du tiers souhaitant contracter avec le promettant :
« Le tiers peut demander par écrit au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir.
L’écrit mentionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat. »
Elle peut être mise en œuvre dès l’entrée en vigueur de l’ordonnance, peu importe que le pacte ait été conclu avant ou non (Art.9 de l’ordonnance).
1 Il consacre ainsi la solution de l’arrêt du 26 mai 2006 (Mixte, n°03-19.376).
Pour aller plus loin :
- Fages, p.68-71 ; Houtcieff, p.121-126
Arrêts:
- Com, 5 janvier 2016, n°14-19.584
- Civ.3, 24 mars 2016, n°15-14.004
- Com., 20 septembre 2016, n°15-10.963
La promesse unilatérale ou synallagmatique
L’article 1124 définit la promesse unilatérale comme étant « le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. » La similarité avec l’offre est frappante, mais si la première est un acte unilatéral, la seconde est un contrat (Fages, p.71).
Il ressort de cette définition qu’une seule des parties de ce contrat est obligée. Toutefois, il peut arriver que le bénéficiaire de la promesse s’engage, en échange, à quelque chose. La promesse synallagmatique est un contrat où les deux parties s’engagent à contracter ensemble. La distinction entre les deux n’est pas simple.
Pour distinguer les promesses unilatérales des synallagmatiques, « la question est toujours de savoir si le bénéficiaire est ou non doté d’un droit d’option quant à la conclusion du contrat définitif ; la promesse unilatérale ne devient une promesse réciproque que si, selon la formule fréquemment utilisée par la Cour de cassation, en contrepartie à l’engagement de vendre, elle contient l’engagement « corrélatif » ou « symétrique » d’acheter »1.
Dans certains cas, les promesses synallagmatiques peuvent valoir comme le contrat définitif (Art.1589 sur les promesses de vente), le contrat étant réputé conclu à partir du moment où les parties s’accordent sur la chose et le prix, ou non. La solution dépend de la formulation des stipulations (Fages, p.75-76).
Une question se pose : si une promesse « unilatérale » peut prévoir des obligations à la charge du « bénéficiaire » de la promesse, à quel moment devient-elle synallagmatique ? Quelles sont les conséquences ? Le problème s’est plusieurs fois posé s’agissant des indemnités d’immobilisation2.
Dans l’arrêt du 26 septembre 2012 (Civ.3, 10-23.912), la Cour de cassation a clairement admis que la promesse de vente assortie d’une indemnité si importante par rapport au prix de vente qu’elle prive le bénéficiaire de sa liberté d’acheter ou de ne pas acheter permet la requalification de la promesse unilatérale en promesse synallagmatique. Toutefois, la Cour n’a pas apporté de précision sur le prix en question et elle avait admis le 1er décembre 2010 (Civ.1, 09-65.673) qu’une indemnité d’indemnisation valant la quasi-totalité du prix de vente ne suffisait pas à qualifier la promesse de synallagmatique.
La nature synallagmatique de la promesse entraîne des conséquences probatoires, comme l’impératif du double original.
Dès que l’option est levée dans le délai imparti (Civ..3, 8 octobre 2003, n°02-11.953), le contrat promis est conclu. Les infractions à la promesse peuvent être de deux natures :
- la révocation de la promesse. Cette dernière « n’empêche pas la formation du contrat promis. » (Art.1124§2) Cette règle contredit la jurisprudence en vigueur depuis le 15 décembre 1993 (Civ.3, n°91-10.199, Consorts Cruz), selon laquelle cette révocation ne pouvait ouvrir droit qu’à des dommages et intérêts (Ex : Civ.3, 16 juin 2015, commenté ; Civ.3, 11 mai 2011, n°10-12.875 …3).
- la conclusion d’un contrat empêchant la promesse de se réaliser (ex : en vendant le bien qu’on avait promis de vendre). L’effet des contrats devant rester relatif, seul « Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul » (Art.1124 §3)
Le juge peut adjoindre des dommages-intérêts à ces sanctions en nature. L’indemnisation peut inclure la perte de chance de réaliser un gain (ex : Civ.3, 16 juin 2015, commenté).
1 Barret O., Répertoire civil Dalloz, « Promesse de vente », §6 ; dans le même sens, Houtcieff p.126
2 Notez qu’elles se distinguent des clauses pénales en cela qu’elles sont la contrepartie de « l’exclusivité consentie au bénéficiaire de la promesse » (Civ.1, 5 décembre 1995, n°93-19.874) et non la sanction d’une exécution. (Houtcieff, p.113) Néanmoins, on peut se demander : si l’indemnité est le prix d’un droit, ne s’agit-il pas d’une vente ?
3 Sur les vacillements de cette solution : Mazeaud D., « Promesse unilatérale de vente : la Cour de cassation a ses raisons … (1) », D.2011.1457
Pour aller plus loin :
- Kouhaiz S., « L’autonomie des promesses croisées d’achat et de vente », Rev. Sociétés 2018. 27
- Genicon R., « « Résiliation » d’une promesse à durée indéterminée, nature des promesses unilatérales croisées, sanction de la rétractation de la promesse : un triple revirement ? », RDC 2018, n°1, p.11
- Fages, p.71-76 ; Houtcieff p.112-121 et 126-129 ; Malaurie et al., p.239-243
- Barbier H., « Interdépendance des contrats : deux confirmations attendues et un revirement opportun », RTD Civ. 2015 p.127 (sur la nature synallagmatique d’une promesse dans un ensemble de contrats interdépendants)
- Barret O., Répertoire civil Dalloz, « Promesse de vente », §6 ;
Arrêts:
Comparatif offre/promesse/pacte de préférence
Offre | Promesse | Pacte | |
Conditions avant la réalisation du contrat | Acceptation du destinataire | Acceptation du bénéficiaire (levée de l’option) | Décision du débiteur de contracter ; acceptation du bénéficiaire |
Rétractation possible ? | Sous certaines conditions | Non | Non |
Sanction de la violation | Dommage et intérêts | Indemnisation + potentielle substitution au cocontractant | Indemnisation + potentielle substitution au cocontractant |
Préjudice : Bénéfices espérés ? | Non | Oui | Oui |