L’enrichissement injustifié, auparavant appelé « sans cause », est d’origine jurisprudentielle (Req., 15 juin 1892, Patureau-Mirand) et a été consacré par le nouvel article 1303 :L’enrichissement injustifié, auparavant appelé « sans cause », est d’origine jurisprudentielle (Req., 15 juin 1892, Patureau-Mirand) et a été consacré par le nouvel article 1303 :

En dehors des cas de gestion d’affaires et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement.

L’article 1303-1 précise :

L’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni de l’accomplissement d’une obligation par l’appauvri ni de son intention libérale.

Pour aller plus loin :

  • Malaurie et al., 615-622 ; Andreu et Thomassin, p.582-592
  • Romani A-M., « Enrichissement sans cause », Répertoire civil Dalloz
  • Chénédé F., « Pour un affinement de la théorie des quasi-contrats au service de la liquidation patrimoniale du concubinage », D.2010.718 ; Yildirim G., « L’enrichissement injustifié, nouveau visage de l’enrichissement sans cause », AJ Famille 2016.472

I. La notion

On peut dégager trois éléments de définition de l’enrichissement injustifié :

  • Un enrichissement corrélé à un appauvrissement
  • l’absence de cause, qu’il s’agisse d’une quelconque obligation ou d’une intention libérale
  • l’absence d’autre voie de recours (= subsidiarité)

L’enrichissement corrélé à l’appauvrissement

L’enrichissement peut résider en une variété de choses : l’acquisition d’un matériel, une amélioration, une économie, la disparition d’une dette … De même pour l’appauvrissement, qui pourra même résider en un travail gratuit ou un manque à gagner.

Un des cas classiques est celui de la femme accomplissant gratuitement la fonction de secrétaire ou d’assistante pour son conjoint commerçant ou de profession libérale. Dans ces cas, le juge reconnaît que, si les époux ont « l’obligation de contribuer aux charges du ménage », les prestations l’excédant doivent être indemnisées (ex : Civ.1, 29 mai 2001, n°98-21.991).

Arrêts:

L’absence de cause/justification

La nature injustifiée de l’enrichissement suppose qu’il ne procède « ni de l’accomplissement d’une obligation par l’appauvri ni de son intention libérale. » (Art. 1303-1)

Le présent régime s’applique pas lorsque l’appauvrissement trouve sa source dans un contrat conclu avec un tiers. Par exemple, dans un arrêt de du 28 mars 1939, la chambre des requêtes1 avait décidé qu’un entrepreneur ayant réalisé des travaux dans un appartement pour le locataire ne pouvait pas, si ce dernier était insolvable, se retourner contre le bailleur. On peut admettre un enrichissement de ce dernier à la fin du bail, mais sa cause en était le contrat de bail (Malaurie et al., p.621). Idem si le paiement est consécutif à une décision de justice (Civ.1, 3 mars 2010, commenté).

De même, l’appauvrissement peut trouver sa cause dans le comportement de l’appauvri. Il en est ainsi « si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel » (Art.1303-2).

S’agissant de l’impact d’une faute sur l’indemnisation, les solutions étaient incertaines et potentiellement divergentes (D.Actu, 5 février 2007) . Pour la chambre commerciale, toute faute privait l’appauvri du présent recours (Com., 18 mai 1999, n° 95-19.455). Pour la première chambre civile, il y a une incertitude. La portée de ce potentiel revirement est donc incertaine. L’arrêt du 5 avril 2018 (Civ.1, n°17-12.595, 17-14.029) évoque pour sa part « la faute lourde ou intentionnelle de l’appauvri ».

Dans tous les cas, la réforme a donné tort aux deux chambres, le nouvel article 1303-2 disposant :

« L’indemnisation peut être modérée par le juge si l’appauvrissement procède d’une faute de l’appauvri. »

Il ne s’agit donc plus d’une condition d’application, mais d’un motif d’exonération (qui peut être totale).

Enfin, une obligation naturelle est une cause au sens du présent régime. Un enrichissement ne sera pas injustifié s’il peut s’expliquer, par exemple, par la piété filiale (Civ.1, 12 juillet 1994, n°92-18.639) ou l’« obligation de contribuer aux charges du mariage » (Civ.1, 29 mai 2001, n°98-21.991).

Toutefois, ces obligations ne sont pas absolues et les actions qui dépassent ces devoirs moraux peuvent occasionner un enrichissement injustifié. Il a par exemple été décidé que « le devoir moral d’un enfant envers ses parents n’exclut pas que l’enfant puisse obtenir indemnité pour l’aide et l’assistance apportées dans la mesure où, ayant excédé les exigences de la piété filiale, les prestations librement fournies avaient réalisé à la fois un appauvrissement pour l’enfant et un enrichissement corrélatif des parents » (Civ.1, 12 juillet 1994, n°92-18.639).

Ces solutions sont bien tranchées et ne posent pas réellement problème … au contraire de la preuve de l’intention libérale dans la rupture des relations amoureuses. Il est constant que l’absence d’intention libérale doive être démontrée par celui qui l’allègue (Civ.1, 24 octobre 2006, n°05-18.023) et qu’elle ne se déduise pas du seul appauvrissement (Civ.1, 1er février 2017, n°16-12.856). Je ne peux rien affirmer quant à l’appréciation de cette intention libérale : les motivations de la Cour de cassation sont souvent trop succinctes, je n’ai pas trouvé d’article ou d’ouvrage systématisant le sujet, les manuels n’en parlent pas et pour couronner le tout, le juge semble parfois mélanger cette question avec celle de l’existence d’une obligation naturelle (Civ.1, 20 janvier 2010, commenté). Bref, je ne pense pas qu’un enseignant puisse vous demander de le savoir.

1 Rappel : c’était l’équivalent de la Cour de cassation.

Pour aller plus loin :

  • Lasserre Capdeville J., « L’action de in rem verso et le chèque payé fautivement », D.2015.1084 ; Levillain N., « Autres actualités en droit des successions », AJ Famille 2017 p.209 ; Louis D., « Existence d’une donation déguisée et du recel successoral », D.Actu 23 février 2017

Arrêts:

II. L’indemnité

En principe, l’indemnité est « égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. » (Art.1303) Cette solution est classique (ex : Civ.3, 18 mai 1982, n°80-10.299).

S’agissant du moment auquel est appréciée l’indemnité, le nouvel article 1303-4 prévoit que :

« L’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement. En cas de mauvaise foi de l’enrichi, l’indemnité due est égale à la plus forte de ces deux valeurs. »

La solution est contraire à la jurisprudence antérieure, qui estimait l’enrichissement à la date de la demande en restitution (Civ. 1, 13 nov. 2014, no13-20.442) et l’appauvrissement à la date de la dépense (Civ. 3e, 18 mai 1982, no 80-10.299). (Yildirim, AJ Famille 2016.472)

III. Une action subsidiaire

L’enrichissement injustifié est subsidiaire : il ne peut être invoquée que si aucune autre action ne lui est ouverte. Globalement on distingue les obstacles de droit qui, comme la prescription, ferment la voie de l’enrichissement injustifié et les obstacles de faits qui, comme l’insolvabilité du débiteur (Andreu et Thomassin p.588 ; Malaurie et al., p.622), la laissent ouverte.

Cette action serait également fermée si son application avait pour effet de contourner une règle impérative, comme l’obligation d’un mandat écrit pour que soit rémunéré l’agent immobilier (Civ.1, 18 juin 2014, n°13.553 ; Malaurie et al., p.622).

L’article 1303-3 reprend cette règle :

« L’appauvri n’a pas d’action sur ce fondement lorsqu’une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription. »

Qu’en est-il de l’absence de preuve ? Un arrêt du 29 avril 1971 (Civ.3, n°70-10.415) a d’abord répondu que le fait qu’une action soit ouverte, mais n’aboutisse pas parce que l’appauvri « ne peut pas apporter les preuves qu’elle exige » ferme la voie à l’action en enrichissement injustifié.

Cette solution est extrêmement dérangeante puisque, comme nous le verrons dans la dernière partie, il est constant qu’en droit, ce qui n’est pas prouvé n’existe pas. Comment voir l’absence de preuve, et donc l’absence d’existence, comme un obstacle de droit, alors que cela semble évidemment être un obstacle de fait ? La voie de la responsabilité pour faute est (presque) toujours ouverte : il suffit de prouver une faute ayant causé l’appauvrissement. Idem pour la responsabilité contractuelle : il suffit de prouver l’existence et le contenu d’un contrat.

Cette solution a commencé à changer à partir d’un arrêt du 15 octobre 1996 (Civ.1, n°94-20.472), qui a jugé l’inverse à propos d’un contrat de société de fait. D’autres arrêts ont ensuite adopté la même solution à propos de ce type de contrats (Civ.1, 5 mars 2008, n°07-13.902) ou à propos d’un mandat de gestion (Civ.1, 25 juin 2008, n°06-19.556). (D. 2010.728)

Au contraire, la solution de l’arrêt de 1971 a été plusieurs fois réaffirmée, à propos de contrats de prêts (Civ.1, 2 avr. 2009, n° 08-10.742 ; 31 mars 2011, n°09-13.966) (D.2011. 2891). La solution de l’arrêt de 1971 reste donc souvent valide.

Ce ne sont que les arrêts que j’ai trouvés couplés aux quelques articles sur le sujet : c’est très insuffisant pour estimer avoir fait le tour du sujet et avoir établi la différence entre ces solutions apparemment divergentes.

Toutefois, je n’approfondis pas plus : vous aurez compris que la subsidiarité de l’enrichissement injustifié est d’une complexité infinie. Je n’ai trouvé aucune systématisation vraiment convaincante et les manuels sont tous très succincts. Retenez donc simplement le principe que j’ai énoncé dans les premiers paragraphe.

Pour aller plus loin :

  • Gouëzel A., « Enrichissement sans cause : portée de la subsidiarité de l’action de in rem verso », D.2017.1591 ; Dagorne-Labbe Y.,« Le caractère subsidiaire de l’action de in rem verso », JCP G. 2017, n° 28, 790
  • Delebecque P. et Bretzner J-D., « Droit de la preuve », D. 2011. 2891

Arrêts: