Les motifs permettant de s’exonérer de la responsabilité varient en fonction de chaque régime spécifique. Ainsi la faute de la victime (II), l’acceptation des risques (III) ou le fait d’un tiers (IV) ne sont pas toujours des sources d’exonération. Seul un motif exonère presque systématiquement1, qu’il s’agisse d’une responsabilité civile, administrative ou pénale : la force majeure (I).

L’état de nécessité concerne la situation où une personne cause un dommage pour en éviter un plus grand (Malaurie et al., p.68). Je n’ai pas trouvé de jurisprudence récente dessus, je n’en parlerai donc pas.

Pour aller plus loin :

  • Malaurie et al., p.67-69 et 74-77

Cette partie s’inscrit dans la partie sur les règles générales du droit des obligations de notre manuel de droit des obligations.

I. Les causes étrangères

On distingue souvent cas fortuit, cas de force majeure, fait d’un tiers, fait de la victime2 ou fait du prince (= de la puissance publique). La première distinction est discutée (Terré et al., p.632), certains soutenant que l’ensemble cas fortuit inclut les quatre autres.

Pourtant, toutes doivent avoir les caractéristiques de la force majeure pour être exonératoires. Pourquoi ne pas parler que d’elle ? Parfois, l’un ou l’autre est exclu (ex : le fait du tiers s’agissant des accidents de la route), mais il suffirait de le souligner.

Cette distinction semble toutefois faire partie des conventions unanimes. Je vous conseille donc de continuer à distinguer force majeure, fait d’un tiers/de la victime/du prince (et ne parlez pas du cas fortuit si vous pouvez l’éviter). Je tenterai de faire la distinction, mais ce ne sera pas systématique (notamment parce que les commentateurs ne la font pas systématiquement) et parlerai de force majeure en général.

Notez que ces différents événements sont englobés par la notion de cause étrangère.

Les effets

La force majeure a pour effet d’annuler entièrement la responsabilité, tout simplement. C’est tout ou rien.

Les conditions

La force majeure est sans doute le motif d’exonération le plus présent en droit. Toutefois, ses critères sont tellement stricts, qu’il est rare que le juge la reconnaisse. En responsabilité délictuelle, son fondement est jurisprudentiel et pour les contrats, elle est fondée sur l’article 1218§1 :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »

On distingue 3 critères :

  • l’imprévisibilité, qui s’apprécie par rapport à la personne souhaitant s’exonérer à un certain moment (« la conclusion du contrat en matière contractuelle et date du fait générateur en matière délictuelle »3).
  • l’irrésistibilité.
  • l’extériorité, qui ne s’entend pas au sens biologique. Ainsi, le juge a admis qu’un cancer pouvait constituer un cas de force majeure. Ce critère exclut les événements auxquels la victime a participé par son action ou sa négligence.4

La casuistique est dominante. Je vais donc vous présenter quelques affaires importantes, puis nous discuterons du dernier arrêt portant sur « l’affaire Xynthia ».

1 Ce n’est pas le cas pour les auteurs d’accidents de la circulation régis par la loi du 5 juillet 1985.

2 Notez que ce fait n’a pas besoin d’être fautif.

3 P.Grosser, « Pertinence des critères cumulés pour caractériser la force majeure en matières délictuelle et contractuelle », JCP G n°23, 7 Juin 2006, II 10087

4 Brusorio-Aillaud (p.292) affirme que l’extériorité n’est plus un critère depuis la réforme. Pourtant, ce n’est que textuellement qu’elle est absente : déjà en 2006 elle était conçue comme une extériorité au contrôle du débiteur, permettant que la maladie soit un événement de force majeure. Son allégation me semble donc fausse.

Arrêts:

Divergences sur les conditions

Pendant un temps, il a été discuté de savoir si l’imprévisibilité était assimilable à l’irrésistibilité ou non. Cette solution a notamment été adoptée par la première chambre dans un arrêt du 9 mars 1994 (n°91-17.459), le juge y ayant déclaré que « l’irrésistibilité de l’événement est, à elle seule, constitutive de la force majeure, lorsque sa prévision ne saurait permettre d’en empêcher les effets ». Cette solution est loin d’être absurde et pourrait bien revenir un jour. En effet, l’esprit de la force majeure est de dédouaner des personnes qui n’ont rien pu faire face à l’événement entraînant le dommage. Globalement, la première chambre et la chambre commerciale ont petit à petit écarté l’imprévisibilité sur le plan contractuel, au profit de l’irrésistibilité (ou inévitabilité), contrairement aux autres chambres qui conservaient une approche unifiée et traditionnelle.

La Cour de cassation a réglé ce différent en mobilisant l’irrésistibilité ainsi que l’imprévisibilité en matière contractuelle comme délictuelle dans deux arrêts d’assemblée plénière du 14 avril 2006, commentés un peu plus loin.

La chambre sociale a néanmoins fait de la résistance. Ainsi, dans un arrêt du 31 octobre 2006 (n°04-47.014), elle a décidé que « la force majeure permettant à l’employeur de s’exonérer de tout ou partie des obligations nées de la rupture du contrat de travail, s’entend de la survenance d’un événement extérieur irrésistible ayant pour effet de rendre impossible la poursuite dudit contrat ». C’est sans étudier l’imprévisibilité de l’événement au moment du contrat que le juge a retenu la force majeure. Cette dissidence se serait effritée dès 2007 (19 juin 2007, n°06-44.236) et aurait cessé en 2012, avec les arrêts du 4 avril (n°11-10.570) et du 16 mai (n°10-17.726). (Répertoire Civil Dalloz, « Force majeure », §15-16-17)

Notons que le juge est rarement prolixe dans sa rédaction (sans doute parce que l’argument est invoqué systématiquement et rarement à bon escient) et, par exemple, ne mentionne pas toujours l’impératif d’extériorité de la force majeure. En outre, la casuistique est très présente dans les décisions, qui sont toujours particulières, ce qui rend l’interprétation de la portée des décisions très incertaines et peu généralisables.

Arrêts:

II.La faute de la victime

En général, lorsqu’une victime commet une faute ayant concouru à son préjudice, son droit à indemnisation est réduit. Son champ d’application est très vaste, incluant tant la responsabilité pour faute que celle du fait des choses ou la responsabilité contractuelle (Malaurie et al., p.549).

Nous avons déjà vu la notion de faute plus haut, ainsi que le fait que l’absence de discernement n’interdise pas le comportement fautif (ex : Crim., 14 juin 2005, commenté).

Notez que la faute peut être écartée dans certains cas. Ainsi, l’arrêt du 19 novembre 2009 (Civ.2, n°08-19.380) pose que « l’indemnisation due par l’auteur d’une infraction intentionnelle contre les biens ne peut être réduite en raison de la négligence de la victime lorsqu’il en résulterait pour lui un profit quelconque ». En l’espèce, une comptable avait imité une signature pour encaisser des chèques à son profit. Si une faute était retenue pour limiter sa responsabilité vis-à-vis de la banque, il en résulterait un profit pour la fraudeuse. La Cour jugea donc que la faute de la banque était sans conséquence.

La chambre criminelle, pourtant à l’origine de cette règle, semble être revenue dessus dans l’affaire Kerviel. Dans l’arrêt du 19 mars 2014 (Crim., n°12-87.416), elle a affirmé « que lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l’appréciation appartient souverainement aux juges du fond. » Elle aurait pu reprendre son ancien principe et juger que l’indemnisation pouvait être réduite jusqu’au montant que Kerviel a gagné en fraudant. Selon P.Jourdain, c’est la marque d’un revirement de jurisprudence (RTD Civ. 2014.389). Au final, la Cour de renvoi a divisé l’indemnité due par 5000, la réduisant à 1 million d’euros (Versailles, 23 septembre 2016, n°14/01570). Je ne sais pas si cette solution ne découle pas simplement de la spécificité des faits.

Arrêts:

Pour aller plus loin :

  • P.Jourdain, « Incidence de la faute de la victime en cas d’infraction volontaire contre les biens : la Cour de cassation modifie sa jurisprudence », RTD Civ. 2014 p.389 ;
  • Saenko L., « Affaire Kerviel : quand la faute de la victime réduit (beaucoup) son droit à réparation », RTD Com. 2016 p.873

III. L’acceptation des risques

L’acceptation des risques est un motif d’exonération qui « n’a jamais eu qu’un impact limité sur la responsabilité civile » (Jourdain, RTD Civ. 2011 p.137). Il repose sur l’idée qu’une personne ayant accepté les risques inhérents à une activité ne peut pas se plaindre qu’ils se réalisent.

Les risques acceptés sont présumés être normaux. Si le risque s’étant réalisé est anormal, il est jugé ne pas avoir été accepté. Par exemple, des marins avaient disparu en mer lors d’une régate. Le skipper (ou plutôt son assureur), assigné en responsabilité, opposait l’acceptation des risques des participants. La Cour de cassation a toutefois rejeté cette éventualité au motif « que si les membres de l’équipage avaient accepté les risques normaux et prévisibles d’une compétition en mer de haut niveau, ils n’avaient pas pour autant accepté le risque de mort qui, dans les circonstances de la cause, constituait un risque anormal » (Civ.2, 8 mars 1995, n° 91-14.895).

Son champs a toutefois été fortement réduit avec son exclusion de la responsabilité dans le cadre d’activités sportives

Il faut distinguer l’acceptation des risques de l’acceptation du dommage lui-même. Le principe est alors que « l’obligation de réparer disparaît lorsque la victime a consenti au dommage » (Malaurie et al., p.76). Je ne détaille pas, vous ne devriez pas croiser cette exonération et peu d’auteurs en parlent.

Elle n’existe pas en tant que telle en matière contractuelle, mais on pourra la retrouver derrière d’autres règles, comme le fait que l’acceptation d’un aléa empêche de se prévaloir d’une erreur (si vous achetez un tableau vendu comme pouvant être d’un grand peintre, vous ne pourrez pas vous plaindre s’il s’avère que non) ou bien tout simplement derrière la faute de la victime.