On compte essentiellement quatre responsabilités du fait d’autrui, chacun fondé sur un alinéa de l’article 1242 :

  • la responsabilité des parents du fait des enfants (§4)
  • la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés (§5)
  • La responsabilité générale du fait d’autrui (§1), bien mal nommée, son champ étant en fait assez limité
  • La responsabilité des enseignants du fait de leurs élèves (§6)

Nous les présenterons dans cet ordre. Les deux premières sont vraiment importantes, la troisième doit être bien connue, même si son champ d’application est limité, et la quatrième est rarement utile.

I. La responsabilité des parents du fait des enfants

Ce régime est fondé sur l’article 1242§4 du Code Civil :

« Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux. »

Ce régime repose avant tout sur l’autorité parentale, ce qui ne pose pas de difficulté. Idem pour la minorité de l’enfant, appréciée au jour du dommage. S’agissant du mineur émancipé, l’article 413-7 (anc.482) du code civil nous donne la solution :

« Le mineur émancipé cesse d’être sous l’autorité de ses père et mère. Ceux-ci ne sont pas responsables de plein droit, en leur seule qualité de père ou de mère, du dommage qu’il pourra causer à autrui postérieurement à son émancipation. »

Les questions qui poseront problème seront la cohabitation, le fait générateur (l’acte de l’enfant) et l’interaction entre ce régime et les autres. Les évolutions jurisprudentielles étant un peu complexes, voici un tableau les synthétisant.

L’acte du mineur

Quels sont les actes du mineurs pouvant entraîner l’application du présent régime ? S’agit-il d’un régime en deux temps, où les parents sont responsables des faits dont leurs enfants sont responsables, ou en un seul ?

Avant 1984, les parents étaient responsables de ce dont l’enfant était responsable. La responsabilité était « en deux temps ».

L’arrêt Füllenwarth (Plén., 9 mai 1984, no79-16.612) a renversé cette jurisprudence en posant que « pour que soit présumée, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, la responsabilité des père et mère d’un mineur habitant avec eux, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime ». Cette solution a été confirmée par l’arrêt Levert (Civ.2, 20 mai 2001, n°99-11.287) et l’arrêt d’assemblée plénière du 13 décembre 2002 (n°00-13.787).

On peut se demander comment ce régime interagit avec la responsabilité du fait des choses ou des accidents de la route. En effet, ces régimes ne reposent pas sur le fait de la personne responsable.

Un régime principal de plein droit

Depuis l’arrêt Fullenwarth, ce régime reposait sur la faute des parents dans l’exercice de leur obligation d’éducation et de surveillance. Cela a toutefois changé petit à petit, jusqu’à ce que l’arrêt Bertrand (Civ.2, 19 févr. 1997, n°94-21.111) le transforme en un régime de plein droit : « seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait exonérer M. X… de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par son fils mineur habitant avec lui ».

Cette solution a été confirmée par l’arrêt Levert (Civ.2, 10 mai 2001, n°99-11.287), puis par l’arrêt du 13 décembre 2002 (Plén., n°00-13.787) : « pour que la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l’autorité parentale sur un mineur habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur ; que seule la cause étrangère ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de cette responsabilité ».

Après cela, le régime reposait sur l’autorité parentale et, surtout, sur la cohabitation.

La cohabitation

Avant 1997, la cohabitation était entendu assez factuellement, pouvant s’interrompre en cas de vacances chez un aïeul (Civ.2, 24 avril 1989, n°88-10.735) ou de pensionnat scolaire (Civ.1, 2 juillet 1991, n°90-12.062).

L’arrêt Bertrand (Civ.2, 19 février 1997, n°94-21.111) a, en même temps qu’il changeait le fondement de la responsabilité, transformé la cohabitation en une notion juridique, abstraite.

Ainsi, un enfant confié temporairement à « un centre médico-pédagogique » était toujours considéré comme cohabitant avec ses parents (Civ.2, 9 mars 2000, commenté). Il a même été jugé qu’un enfant de 13 vivant depuis 12 ans chez ses grands-parents « cohabitait » toujours avec ses parents1 … (Crim., 8 février 2005, n°03-87.447)

Cela pose, évidemment, problème en cas de divorce. La chambre criminelle a récemment jugé que « la responsabilité du parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant n’a pas été fixée ne peut, sans faute de sa part, être engagée » (6 novembre 2012, n°11-86.857, confirmé par Crim, 29 avril 2014, n°13-84.207).

1 Plus précisément « la circonstance que le mineur avait été confié, par ses parents, qui exerçaient l’autorité parentale, à sa grand-mère, n’avait pas fait cesser la cohabitation de l’enfant avec ceux-ci ».

Arrêt:

Interactions avec les autres régimes

Est-il possible que soient responsables du fait de l’enfant le commettant (1242§5), l’instituteur (§6), les parents (§4) ou l’institution qui en a la garde (§1) ?

Il est certain que la responsabilité des parents exclut l’application du régime fondé sur l’article 1242§1. (RTD Civ.2012.321) Comme nous l’avons vu, seule une décision juridictionnelle peut attribuer à un organisme la garde des enfants au sens de l’article 1242§1, faisant par là même perdre la cohabitation avec les parents (ex : Crim., 18 mai 2004, n°03-83.616).

Pour les autres régimes, je ne suis pas sûr. J’imagine qu’ils lui sont parfaitement compatibles et donnent d’autant plus de moyens à la victime pour être indemnisée.

Les exonérations

Comme pour tous les régimes de plein droit, seule la faute de la victime ou la cause étrangère peuvent exonérer les parents. La faute de la victime peut diminuer son indemnisation.

Par exemple, dans l’arrêt du 19 octobre 2006 (Civ.2, n°05-17.474), des enfants avaient causé l’incendie d’un hangar, mais l’indemnisation des propriétaires a été diminuée de 25 % en raison de l’absence « d’une borne incendie facilement accessible » corrélée à la présence de nombreux produits aisément inflammables.

Arrêts:

II.La responsabilité des commettants

La responsabilité des commettants est une responsabilité sans faute pesant sur les commettants (souvent des entreprises ou artisans) du fait de leurs préposés (souvent des employés). Elle est fondée sur l’article 1242§5 du code civil :

« Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés »

Pour aller plus loin :

  • Malaurie et al., p.89-97
  1. Un acte dans le cadre de ses fonctions

C’est une responsabilité en deux temps : il faut que l’acte du préposé ait été de nature, en faisant abstraction du lien de préposition, à engager sa propre responsabilité personnelle, par exemple en faisant une faute (ex : Civ.2, 8 avril 2004, commenté).1.

Selon Malaurie et al., « le fait du préposé susceptible d’engager la responsabilité du commettant ne peut consister que dans sa faute. » (p.92) Ils le déduisent du fait que le préposé ne peut pas être gardien. Pourtant, ces même auteurs affirment plus loin dans leur livre (p.191) que la garde est dans un sens « transmise » au commettant, qui deviendrait le gardien de ce dont le préposé a le contrôle et la direction. Il a, de plus, déjà été décidé que l’implication dans un accident de la circulation du préposé en tant que conducteur engage le commettant (Crim., 27 mai 2014, commenté). Le postulat qu’ils avaient fait 100 pages plus tôt était donc sans doute une erreur et le présent régime n’est pas une responsabilité de la seule faute du préposé.

Le commettant peut opposer à

la victime les faits justificatifs que le préposé aurait pu lui opposer, comme la légitime défense ou l’état de nécessité (Brusorio-Aillaud, p.59).

La responsabilité des commettants du fait des préposés suppose « un acte dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ». Le commettant peut s’exonérer en démontrant que  :

  • « son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé,
  • sans autorisation,
  • et à des fins étrangères à ses attributions » (Plén., 19 mai 1988, n°87-82.654).

Ces trois conditions sont cumulatives.

On parle alors d’abus de fonction. Ce principe est encore repris tel quel (Crim., 28 mai 2013, n°11-88.009). Cette triple condition est très restrictive et ne porte que sur le contexte de la faute, pas son ampleur : même les infractions pénales intentionnelles graves des préposés peuvent engager la responsabilité du commettant.

La jurisprudence a récemment dégagé une condition supplémentaire pour que soit reconnu l’abus de fonction : il faut que la victime ait pu légitimement croire que le préposé n’agissait pas à l’occasion de ses fonctions (Civ.2, 7 février 2013, n°11-25.582).

Voici quelques exemples éloquents d’arrêts où la responsabilité du commettant a été admise :

  • le harcèlement moral entre employés (Crim., 28 mai 2013, n°11-88.009)
  • les blessures infligées par des videurs à un client pour l’expulser d’une discothèque (Civ.2, 12 mai 2011, n°10-20.590)
  • des viols et agressions sexuelles d’un enseignant sur ses élèves (Civ.2, 17 mars 2011, n°10-14.468)
  • l’escroquerie, notamment à l’assurance (Plén., 19 mai 1988, n°87-82.654 ; Civ.2, 7 février 2013, n°11-25.582 et bien d’autres)

Arrêts:

Le lien de préposition

Ce régime repose sur l’autorité du commettant sur le préposé. Ce lien a été clairement défini par l’arrêt du 4 mai 1937 (Civ.) : la nature de commettant « suppose que ce dernier a eu le droit de donner au préposé des ordres ou des instructions sur la manière de remplir les fonctions auxquelles il est employé ».

En bref, le lien de préposition repose sur « le pouvoir de commandement et de direction ». Cela inclut le lien de subordination (et donc le contrat de travail), mais ne s’y réduit pas. Il n’est pas non plus limité aux contrats en général et peut se déduire de tout élément (Civ.2, 16 novembre 2006, n°05-19.973).

Notez qu’il est indifférent que l’acte soit réalisé au profit du commettant ou non : « la notion de profit n’est pas déterminante pour apprécier qui est le commettant, le lien de préposition résultant du pouvoir de commandement, du droit de donner des ordres et des instructions » (Civ.2, 17 décembre 1964, n°63-107.91).

Voici quelques exemples :

  • un jockey a été jugé être le préposé du propriétaire du cheval qu’il conduisait en course (Civ.2, 26 octobre 2000, n°98-19.387)
  • le président du conseil d’administration d’une société ne peut pas en être le préposé (Crim., 20 mai 2003, n°02-84.307). Selon Malaurie et al., le « dirigeant social n’est pas le préposé de la personne morale. Il en est l’organe. » (p.92)1
  • un footballer professionnel est le préposé du club qui l’emploie (Civ.2, 8 avril 2003, n°03-11.653) ;
  • un médecin officiant à titre libéral dans une clinique n’en est pas en principe le préposé, même s’il est actionnaire de l’établissement et doit se plier à des obligations de permanence ou d’utilisation de matériel (Civ.2, 10 novembre 2005, n°04-16.501)2.
  • Un lycéen stagiaire non-rémunéré d’une entreprise a été jugé ne pas en être le préposé (Civ.2, 20 décembre 2007, n°07-11.679)

La qualité de préposé peut être éphémère. Ainsi, un pilote d’avion (Civ.2, 6 février 2003, n°01-16.380), dont l’appareil a été dérouté pour lutter contre un incendie, était devenu temporairement le préposé du service départemental ayant donné cet ordre.

La qualité de commettant est alternative : « si, pour un temps ou une opération déterminés, un commettant met son préposé habituel à la disposition d’une autre personne, la responsabilité ne se déplace, pour incomber à cette personne, que si, au moment de l’accident, le préposé qui en est l’auteur, se trouve soumis, en vertu d’une convention ou de la loi à son autorité ou à sa direction ». (Civ., 4 mai 1937) En cas de succession de commettant, il s’agit « de savoir qui avait le pouvoir de donner des ordres lorsque le préposé a commis la faute » (Malaurie et al., p.92).

1 Au contraire, des gérants d’entreprise sont considérés comme en étant les préposés (Civ.3, 4 janvier 2006, n°04-14.731)…

2 En fait le juge se retranche derrière le pouvoir souverain des juges du fond, qui ont donné cette solution. La portée de cette décision est donc incertaine, on ne sait pas si une Cour d’appel jugeant le contraire sera sanctionnée.

Arrêts:

La protection du préposé

L’arrêt Costedoat (Plén., 25 février 2000, n° 97-17.378) est l’arrêt fondateur de l’immunité du préposé1 : « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ».

La Cour de cassation a étendu cette solution aux accidents de la route avec un arrêt du 28 mai 2009 (Civ.2, n°08-13.310). Elle y décida que « n’est pas tenu à indemnisation à l’égard de la victime le préposé conducteur d’un véhicule de son commettant impliqué dans un accident de la circulation qui agit dans les limites de la mission qui lui a été impartie ».

Cette protection a deux types de limites : le contexte et/ou l’ampleur de la faute commise.

L’arrêt Costedoat avait déjà posé que le préposé ne devait pas « excéder les limites de la mission qui lui a été impartie ». Notez que cet aspect circonstanciel est plus large que celui de l’abus de fonction : il est plus fréquent d’excéder les limites de sa mission que d’agir « hors de ses fonctions ».

S’agissant de l’intensité de la faute, font perdre le bénéfice de la protection :

  • les infractions pénales intentionnelles (Plén., 14 décembre 2001, Cousin, n°00-82.066) ;
  • la faute « intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales » (Com., 20 mai 2003, Seusse, n°99-17.092) ;
  • la faute qualifiée au sens de l’article 121-3 du code pénal (Crim., 28 mars 2006 n°05-82.975)

Qu’en est-il des infractions matérielles2 ? La question s’est posée dans plusieurs arrêts concernant les gérants d’entreprise de construction n’assurant pas leurs chantiers, ce qui est une infraction pénale matérielle3. L’ arrêt du 4 janvier 2006 (Civ.3, n°04-14.731) a conclu que le gérant n’était pas responsable la souscription des assurances n’étant « pas séparable des fonctions de dirigeant ».

Un second arrêt est revenu sur cette solution en insistant sur la nature volontaire de l’infraction (Com., 28 septembre 2010, n°09-66.255). Il la fait découler du fait que la gérante « avait sciemment accepté d’ouvrir le chantier litigieux sans que la société X fût couverte par une assurance garantissant la responsabilité décennale des constructeurs ». La solution a été reprise par la troisième chambre civile dans un arrêt du 10 mars 2016 (n°14-15.326)4.

Une question s’est posée récemment : dans l’hypothèse où le préposé poursuit un tiers pour le dommage qu’il lui a causé, le tiers peut-il lui opposer sa faute ?

La Cour de cassation a répondu que oui : « le préposé qui poursuit la réparation du préjudice que lui aurait personnellement causé un tiers, lui-même cocontractant de son commettant, peut se voir opposer sa propre faute par ce tiers » (Com., 10 décembre 2013, n°11-22.188).

1 L’arrêt du 12 octobre 1993 (Rochas, Com., n°91-10.864), avait déjà reconnu que des salariés qui ont agi dans le cadre de la mission qui leur était impartie par leur employeur sans en outrepasser les limites ne pouvaient se voir reprocher aucune faute personnelle. Toutefois, la portée de cet arrêt restait contestée (D. 2000.673).

2 Infractions pour lesquelles la volonté ou la négligence de leur auteur n’est pas un élément constitutif.

3 L. 111-34 du code de la construction et de l’habitation et L. 243-3 du code des assurances

4 A.Lienhard, « Gérant de SARL : faute intentionnelle constitutive d’une infraction pénale » Dalloz actualité 16 mars 2016

Le recours du commettant ?

On pourrait penser que le commettant, après avoir indemnisé la victime, pourrait disposer d’un recours contre son salarié. L’hypothèse a été abordée par un arrêt du 20 décembre 2007 (n°07-13.403) :

« le commettant ne disposant d’aucune action récursoire contre son salarié devant la juridiction de droit commun dès lors qu’il ne peut se prévaloir d’une subrogation dans les droits de la victime, laquelle ne dispose d’aucune action contre le préposé qui a agi dans les limites de la mission qui lui était impartie, hors le cas où le préjudice de la victime résulte d’une infraction pénale ou d’une faute intentionnelle »

En somme, si l’immunité du préposé avait été efficace face au recours de la victime, le commettant ne dispose pas d’action fondée sur le droit des obligations.

Il pourra néanmoins rechercher la responsabilité du préposé pour « faute dans l’exécution du contrat de travail », ce qui relèverait de « la compétence d’attribution de la juridiction prud’homale ». Bref : c’est du droit du travail.

Interaction avec les autres régimes de responsabilité pour autrui

Si un enfant est le préposé de quelqu’un et cause un dommage dans l’exercice de ses fonctions, qui sera responsable ? Les parents ou le commettant ? De même si le préposé est une personne gardée au sens de l’article 1242§1, qui, de son gardien ou de son commettant sera responsable ?

Selon Malaurie et al. (p.191-192), « entre les différentes responsabilités du fait d’autrui, aucun cumul ni option ne sont possibles ». Au soutien de cette allégation, les auteurs font référence à l’arrêt du 18 mars 1981 (Civ.2, n°79-14.036), selon lequel, effectivement, « les différentes responsabilités du fait d’autrui ne sont pas cumulatives mais alternatives ». Dans cet arrêt, un enfant salarié avait, dans le cadre de ses fonctions, eu un accident de voiture en 1974. La Cour d’appel avait jugé le préposé et le père responsables au visa des alinéas 4 et 5 de l’ancien article 1984 (= resp. du préposé et des parents). Son arrêt a été cassé au motif sus-cité.

On peut reprocher plusieurs choses à la portée qu’ils attribuent à cet arrêt :

  • ce dernier est ancien, antérieurs aux changements ayant abouti à faire de la responsabilité des parents une responsabilité de plein droit
  • il est isolé

En ce sens, J..Julien écrit « Auparavant, le système, en plus d’être cohérent, était relativement simple : soit l’enfant était sous la surveillance de ses parents, soit sous la surveillance d’une autre personne; en principe donc les responsabilités s’excluaient l’une l’autre. » Il conclut : « Tel n’est plus le cas à présent, d’autant plus que les parents ne peuvent que difficilement échapper à leur responsabilité en plaçant le débat sur le terrain de la
cohabitation. D’où un ensemble nouveau de solutions, dont aucune n’est véritablement certaine. »
(Dalloz action,Droit de la responsabilité et des contrats, Chapitre 1. Responsabilités du fait d’autrui, §7451)

Bref, la solution est incertaine.

Pour aller plus loin :

  • Julien J., « Chapitre 1. Responsabilités du fait d’autrui » – in Droit de la responsabilité et des contrats, éd. Dalloz, Paris, 2014, Coll. « Dalloz action », §7370 et s. et §7450 et s.

III. La responsabilité « générale » du fait d’autrui

La responsabilité générale du fait d’autrui est récente : elle a été découverte par l’arrêt Blieck du 29 mars 1991 (Plén., n°89-15.231) et repose sur le paragraphe 1 de l’article 1242 : « §1 :On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. »

Ce cas portait sur l’incendie d’une forêt par un jeune handicapé mental, alors placé dans un centre d’aide par le travail. La chambre plénière de la Cour de cassation jugea que ce dernier devait indemniser les propriétaires de la forêt (le couple Blieck) au motif que « l’association avait accepté la charge d’organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de ce handicapé, la Cour d’appel a décidé, à bon droit, qu’elle devait répondre de celui-ci au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ».

Domaine d’application

On qualifie à tort cette responsabilité de « générale » : elle ne s’applique pas à tous les cas où un gardien accepte d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie de l’auteur du dommage.

Depuis l’arrêt du 29 juin 2007 (Plén., n°06-18.141) on distingue clairement deux responsabilités d’autrui fondées sur l’article 1384 al.1  : celle desentités chargées d’organiser à titre permanent le mode de vie de certaines personnes et celle des associations sportives ou de loisir.

La prise en charge à titre permanent du mode de vie

Dans l’arrêt Blieck, cette responsabilité est définie comme l’acceptation par le gardien d’organiser et de contrôler à titre permanent (=constant) le mode de vie de l’auteur du dommage.

Toutefois, la jurisprudence a fortement limité ce principe : « Seule semble-t-il l’organisation d’une mesure de protection des mineurs (comme la tutelle) ou une décision judiciaire de placement autoriserait la mise en œuvre de la responsabilité d’une personne physique ou morale sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er » (RTD Civ. 2012.321). Il s’agit donc d’une garde juridique, similaire à la cohabitation du régime de responsabilité des parents du fait de leurs enfants.1

Cela exclut par exemple qu’une maison de retraite soit responsable sur ce fondement des actes d’une personne âgée souffrant d’Alzheimer (Civ.1, 15 décembre 2011, n°10-25.740). De même pour des mineurs handicapés que les parents ont placés dans une institution spécialisée (Civ.2, 12 mai 2005, n°03-17.994).

Cette garde ne cesse pas lorsqu’elle s’interrompt de fait : une association à laquelle le juge des enfants avait confié un mineur avait été responsable de l’accident qu’il avait causé alors qu’il était en vacance au domicile de ses parents (Civ.2, 6 juin 2002, n°00-12.014).

1 Dans le même sens : « la garde prise en compte pour fonder ici la responsabilité du fait d’autrui est une garde juridique qui puise sa source dans une décision judiciaire, ou dans une disposition légale, sans qu’il soit besoin que cette garde se traduise par un pouvoir effectif exercé sur la personne protégée » (Terré et al., p.902).

Arrêts:

Les associations sportives

La responsabilité des associations sportives du fait de leurs adhérents a d’abord été posée par l’arrêt du 22 mai 1995 n°92-21.197 : « les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, des dommages qu’ils causent à cette occasion ».

Le principe s’est progressivement étendu (D.2011.397) jusqu’à ce que l’arrêt du 29 juin 2007 (Plén., n°06-18.141) décide que « les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu’ils causent à cette occasion, dès lors qu’une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à un ou plusieurs de leurs membres, même non identifiés ». Il s’agit du principe actuel.

Rappelons que les clubs peuvent être poursuivis comme commettants des actes de leurs joueurs professionnels. Le présent régime concerne donc surtout les clubs amateurs (D.2011.397).

Pour aller plus loin :

  • Vial J-P., « Responsabilité des groupements sportifs amateurs du fait de leurs membres », D.2011 p.397 ; Grosclaude L., « Responsabilité civile d’une association du fait de l’activité de ses membres », RTD com. 2005. 784

Arrêts:

Des régimes en deux temps ?

Dans les deux cas, il faut que la personne « gardée » ait causé le dommage. Se pose la question maintenant : faut-il que l’auteur du dommage puisse être jugé responsable pour que le gardien le soit ? Ce dernier pourra-t-il opposer à la victime les exceptions que l’auteur du dommage pourrait lui opposer ?

Pour les associations sportives, cela semble découler de l’énoncé même de la règle : l’origine du dommage doit être « une faute caractérisée par une violation des règles du jeu ». Cela correspond à la définition de la faute délictuelle en matière sportive (ex : Civ.2, 14 avr. 2016, n°15-16.938).

Selon Fages (p.340), le présent régime « suppose toujours la preuve d’une faute de l’auteur direct du dommage. Il n’y a pas de responsabilité du fait d’autrui sans fait d’autrui en lui-même générateur de responsabilité ». Qu’en est-il si la personne gardée peut être poursuivie pour une responsabilité du fait des choses ?

L’arrêt du 22 mai 2003 (Civ.2, n°01-15.311) nous donne la réponse. Un mineur, placé dans une association par un juge, se trouvait sur un tracteur pendant un stage agricole. Un employé de l’association s’en occupant1 se trouvait derrière lui et lui donnait des instructions. Suite à l’exécution d’une de ces consignes, le tracteur créa une secousse, qui fit tomber l’employé sous les lames d’une machine attelée au tracteur. L’employé poursuivit l’association sur le fondement du présent régime et du régime des accidents de la circulation.

La Cour de cassation lui a donné gain de cause au motif que l’enfant « disposant seul de la maîtrise des moyens de mise en mouvement du tracteur avait seul la qualité de conducteur du véhicule impliqué dans l’accident et que l’association, chargée par un juge d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie de ce mineur, demeurait en application de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, responsable de plein droit, y compris au cours du stage, du fait dommageable commis par celui-ci en qualité de conducteur d’un véhicule impliqué dans un accident de la circulation ».

C’est donc en tant que conducteur d’un véhicule impliqué dans un accident de la circulation que l’enfant serait responsable, ce qui entraînerait aussi la responsabilité de l’association. Il s’agirait donc d’une responsabilité en deux temps : si la personne gardée est responsable, son gardien doit indemniser la victime.

Pour aller plus loin :

  • Jourdain P., « Responsabilité de l’association chargée par le juge de s’occuper d’un mineur à l’origine d’un accident de la circulation », D.2004.1342

1 Le placement avait été décidé par le juge des enfants. Ceci peut participer à expliquer la responsabilité de l’association.

Des responsabilités de plein droit

Ce régime est de plein droit, c’est-à-dire qu’il ne suppose pas de faute de l’auteur du dommage ou de l’institution. D’après J.Jérome, « seules les causes générales d’exonération peuvent être invoquées, comme la faute de la victime, le fait d’un tiers ou la force majeure »1.

1 Répertoire civil Dalloz, « Responsabilité du fait d’autrui », §61

IV. La responsabilité des instituteurs (et des artisans)

Art. 1242, §6 : Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance.

Le présent article ne concerne plus que les instituteurs (les apprentis étant des préposés?) et les enseignants en général. Il concerne « ceux qui enseignent, mais aussi ceux qui participent indirectement à l’éducation », ce qui inclut les activités périscolaires organisées sous l’autorité de l’Administration (Malaurie et al., p.88). Il s’agit d’un régime marginal.

Contrairement aux autres régimes de responsabilité du fait d’autrui, il faut ici démontrer une faute de la part de l’instituteur dans la surveillance des enfants (Civ.2, 16 mars 1994, n°92-19.649). Cela découle clairement de l’alinéa 8 de l’article 1242 :

« En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l’instance. »

Cette faute peut notamment porter sur les enfants comme sur leur environnement immédiat. Toutefois, elle « ne saurait être étendue à la surveillance de la conformité des ouvrages publics dont ils ne sont que les utilisateurs et sur lesquels ils n’ont pas compétence pour exercer des pouvoirs de direction et de contrôle » (Civ.2, 23 octobre 2003, n°02-14.359, commenté).

Notez que l’État se substitue à l’instituteur fautif, même en cas de faute pénale. L’article L.911-4 du code de l’éducation prévoit en effet que ce dernier ne peut « jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants » (Crim., 20 septembre 2006, n°05-87.229).

Arrêts: