L’ancien article 1108 prévoyait, outre le consentement des parties et leur capacité de contracter, « Un objet certain qui forme la matière de l’engagement ; Une cause licite dans l’obligation. » D’où cette question importante : quid de la cause et de l’objet ?
La cause et l’objet
La partie du code civil sur le contenu commence avec l’article 1162 :
«Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »
L’article 1163 rajoute :
« L’obligation a pour objet une prestation présente ou future.
Celle-ci doit être possible et déterminée ou déterminable. »
L’ancien objet devait être une prestation déterminée ou déterminable, présente ou future (= certain), conforme à l’ordre public (= licite) et possible. On retrouve cela dans le contenu, il semble donc que l’objet a été entièrement absorbé par la notion de contenu (LPA 2014, n°218, p.6).
S’agissant de la cause, c’est un peu plus compliqué. La réforme a entendu « éradiquer la notion sans éradiquer sa fonction » (Houtcieff, p.240). Elle avait globalement « deux fonctions distinctes. Protéger le contractant contre un engagement dépourvu de rationalité, et protéger la société contre des buts illicites. » (D.2015.335)
Au stade de la validité du contenu du contrat, on la retrouve essentiellement derrière la notion de but de l’article 1162 (Bénabent, p.145 ; Houtcieff, p.258-261 ; Malaurie et al., p.347) et, plus spécifiquement, l’effet de son absence pourrait perdurer à travers les nouveaux articles 1169 et 1170. Ce dernier porte sur la validité des clauses (et non de l’ensemble du contrat). Nous le verrons donc dans une prochaine section, portant sur la teneur du contrat.
La continuation des conséquences de l’absence de cause est moins claire. Pour annuler une libéralité, l’absence de cause est remplacée par l’erreur (Art.1135), pas de changement donc. Si la cause d’un contrat résidait dans un autre contrat et que celui-ci disparaît, le nouvel article 1186 prévoit la caducité du premier.
Ces dispositions pourraient toutefois ne pas englober toutes les situations (Ex : Com.,17 juin 2017, n°15-15.746) et la réforme pourrait conduire à abandonner d’anciennes solutions, ce qui sera très intéressant à commenter.
Pour aller plus loin :
- Boffa, R., « Juste cause (et injuste clause). Brèves remarques sur le projet de réforme du droit des contrats », D.2015 p.335 ; Chénédé F., « La cause est morte… vive la cause ? », CCC 2016, n°5, dossier 4 ; Mazeaud D., « Une rareté : l’annulation d’un contrat de cautionnement pour absence de cause », D.2017.1694 ; Houtcieff D., « La cause de l’obligation de la caution entre persistance et rémanence », RDC 2017, n°3, p.457
- Forti V., « L’absorption de l’objet par le contenu du contrat », LPA 2014, n°218, p.6
- Fages, p.143-145 ; Bénabent, p.127-128
Arrêts:
Existence d’une contrepartie
L’article 1169 dispose qu’« un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ».
Comme pour la cause, on se situe au moment de la formation du contrat, pas après. En outre, la contrepartie d’un contrat onéreux en est dans une large mesure sa cause. C’est par exemple ce qu’a clairement énoncé l’arrêt du 15 septembre 2016 (Civ.3, n°15-22.250) à propos de la vente : « la cause de l’obligation de chacune des parties, qui réside dans l’obligation de l’autre dans un contrat de vente ». On peut donc légitimement se demander s’il y aura, in fine, une différence avec le droit antérieur pour les contrats synallagmatiques. Selon Fages (p.166), ce serait le cas, le nouveau texte empêchant que ne soient prises en compte ni « la rentabilité attendue du contrat ni l’économie voulue par les parties ».
Pour en savoir plus :
- Malaurie et al., p.346-352
- Barbier H., « La transition en douceur de la cause vers la contrepartie, et l’entrée en scène de ‘l’équilibre général du contrat’ », RTD Civ. 2016, p.614 ;
- Article L. 442-6, I, 2° du code de commerce et jurisprudence associée.
Arrêts:
Un contenu et un but licites
Outre l’article 1128 3°, l’exigence d’un contenu et d’un but licite (au sens large, incluant la contrariété aux bonnes mœurs et à l’ordre public) est rattachable à plusieurs articles :
Art. 1162 : « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »
Art.1102 : « La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public. »
Art.6 : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs. »
[J’ai du mal à saisir la distinction que certains semblent faire entre la licéité et la conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs, alors que cette dernière étant incluse défendue par une loi, elle est mécaniquement également incluse dans la licéité.]
Cette illicité peut prendre de nombreuses formes. Par exemple, l’achat d’un immeuble serait nul s’il avait pour mobile de le transformer en repaire de malfrats. Un contrat ne peut pas non plus porter sur une chose « hors du commerce » [Cette catégorie, auparavant par l’ancien article 1128, est absorbée par la licéité du contenu. Contra : Selon Houtcieff (p.211), des choses inappropriables pourraient ne pas être illicites.] comme le corps humain ou ses produits, cette interdiction s’étendant aux cadavres humains (Art.16 et s.). Cela interdit également les conventions de gestation pour autrui (Plén. 31 mai 1991, n°90-20.105, confirmé par l’article 16-7).
Il a pendant un temps été interdit de vendre sa clientèle au motif qu’elle était hors du commerce [Délebecque et Pansier approfondissent l’évolution jurisprudentielle (t.1, p.153-154)]. La jurisprudence l’autorise depuis l’arrêt du 7 novembre 2000 (Civ.1, n°98-17.731). Un cas très actuel a été traité par l’arrêt du 25 juin 2013 (Com., n°12-17.037), qui a jugé illicite un fichier de clientèle qui aurait dû être déclaré à la CNIL, mais ne l’a pas été.
Il n’est pas non plus possible de s’engager à perpétuité.
Les règles relatives aux mœurs sont devenues souples et ne concerneraient plus que les « conventions portant sur la luxure et sur le jeu » (Houtcieff, p.267). Le juge a par exemple autorisé le contrat conclu par une personne mariée avec un professionnel en vue de la réalisation d’un mariage ou d’une union stable (avec une autre personne donc) « n’est pas nul, comme ayant une cause contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs » (Civ.1, 4 novembre 2011, n°10-20.114). La chambre plénière a même pu juger valide un legs ayant pour objet de maintenir une relation adultère (Plén., 4 octobre 2004, n°03-11.238, Galopin).
Conformément à la jurisprudence antérieure (Civ.1, 17 mars 1998, n° 96-14.359), l’article 1162 pose clairement que l’illicéité du but n’a pas besoin d’être connue des deux parties pour causer la nullité du contrat.
Les libertés fondamentales, comme celles défendues par la CEDH, sont en principe à la charge des États et pas des individus. Pourtant, il arrive que le juge s’en prévale pour juger le contenu d’un contrat illicite. Par exemple, dans un arrêt du 12 juin 2003 (Civ.3, 02-10.778) la Cour de cassation a visé l’article 11 de la CEDH (et l’article 4 de la loi du 1er juillet 1901) pour juger illicite la clause d’un bail obligeant les locataires à adhérer à une association. [Pour plus d’exemples : Fages p.148-150] Je souligne simplement cette étrangeté pour que vous ne soyez pas surpris. Il s’agit de solutions casuistiques. Je n’ai pas trouvé de vision d’ensemble.
Pour aller plus loin :
- Malinvaud et al., p.204-224 ; Bénabent, p.138-146 ; Fages, p.147-157 ; Houtcieff, p.227-235 et 261-268 ; Malaurie et al., p.352-363
Arrêts:
Une obligation possible et déterminée ou déterminable
Le nouvel article 1163§2 impose que l’obligation soit « possible et déterminée ou déterminable. » Il reprend en cela une règle jurisprudentielle et l’ancien article 1129 (« Il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce. La quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu’elle puisse être déterminée. »).
La possibilité de l’obligation s’apprécie objectivement, indépendamment de la qualité du débiteur. Cela exclut l’impossibilité subjective : si le débiteur s’est simplement « engagé à accomplir un acte qui dépasse ses capacités personnelles, mais qui aurait été possible à une tierce personne (donner un récital, restaurer un tableau, etc.) » (Malinvaud et al., p.202).
La notion de déterminabilité est définie par l’article 1163 §3 :
« La prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire. »
Un exemple pittoresque est la cession de récolte future. Celle-ci se produira, mais son volume n’est pas connu à l’avance. Pourtant, elle peut être l’objet d’une cession.
Nous verrons la détermination du prix dans la partie suivante, c’est une question complexe.
Si la qualité de la prestation n’est pas déterminée, le juge appliquera l’article 1166 :
« Lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie. »
L’article est beaucoup plus vaste que l’ancien article 1246 (« Si la dette est d’une chose qui ne soit déterminée que par son espèce, le débiteur ne sera pas tenu, pour être libéré, de la donner de la meilleure espèce; mais il ne pourra l’offrir de la plus mauvaise. »), qui ne portait que sur le transfert de choses, puisqu’il englobe également les services.
Arrêts:
- Com., 8 juin 2017, n°15-15.417
- Civ.3, 7 janvier 2016, n°14-19.125
- Civ.1, 19 décembre 2013, n°12-26.459
La détermination du prix
La Cour de cassation a, dans une série d’arrêts (Plén., 1 décembre 1995, n°91-15.999, 91-19.653, 91-15.578 et 93-13.688), décidé que la détermination du prix n’était pas une condition de validité du contrat. Il pouvait même être fixé unilatéralement. En cas d’abus, le juge pouvait simplement allouer des dommages et intérêts et/ou prononcer la résiliation du contrat. Cette solution a été confirmée à de multiples reprises (Com., 7 avril 2009, n°07-18.907, etc.) Cela revient, en fait, à faire passer la question sur le plan de l’exécution du contrat et non de sa formation.
Cette problématique est surtout présente dans les conventions cadres ou d’approvisionnement exclusif. Par exemple, si un bar accepte de conclure avec son fournisseur de bière un contrat stipulant qu’il ne s’approvisionnera que par lui, sans que soit précisé le prix.
Il faut rapprocher cette problématique de la réduction des honoraires excessifs par le juge. Dès le 17 mai 1832, la Cour de cassation a accepté de réduire les honoraires (en l’espèce pour des mandataires) excessifs, puis généralisé petit à petit sa solution (ex : pour les avocats,Civ.3, 3 mars 1998, n°95-15.799).
Il est possible que les choses aient changé avec la réforme de 2016 et la création des articles 1164 et 1165 :
Art. 1164 : « Dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation.
En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. »
Art. 1165 : « Dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation.
En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande en dommages et intérêts. »
Ces articles appliquent spécifiquement la solution des arrêts de 1995 aux contrats cadres et aux prestations de services. Cette évolution pourrait restreinte son champ d’application à ces deux seuls types de contrats (dans ce sens, Houtcieff p.220 ; Fages, p.161 ; Borghetti J-S., RDC 2018, n°Hors-serie, p.25 ; et dans le sens contraire : D.2016.1013). On ne sait pas.
Il y a peu de règles claires définissant l’abus dans la fixation du prix. Globalement il semble que le juge regarde si la détermination du prix résulte de circonstances extérieures à la volonté du contractant le fixant et si elle permet à son cocontractant d’être compétitif comparativement à ses autres clients (Houtcieff, p.221).
La loi de ratification a aligné sur l’article 1164 la sanction de l’abus dans la fixation du prix prévue par l’article 1165, rajoutant la possibilité d’obtenir « le cas échéant, la résolution du contrat. » Cette modification est interprétative.
Pour aller plus loin :
- Terré et al., p.315-332 ; Malinvaud et al., p.197-201 ; Benabent, p.131-137 ; Houtcieff, p.215-227
- Art.L.112-1, -2 et -3 du code monétaire et financier (clauses d’indexation)
- Aubert de Vincelle C., « Article 1163 : la fixation unilatérale du prix », RDC 2016 n°3, p.752 ; Labarthe F., « La fixation unilatérale du prix dans les contrats cadre et prestations de service. Regards interrogatifs sur les articles 1164 et 1165 du Code civil », JCP G 2016, n°23, p.642 ;
- Borghetti J-S., « Fixation et révision du prix », RDC 2018, n°Hors-serie, p.25
Arrêts:
La disparition d’une condition de du contrat
En principe, les conditions de validité du contrat sont appréciées au jour de la conclusion du contrat. Toutefois, le but ou le contenu du contrat peuvent disparaître en cours d’exécution si le contrat est à exécution successive. Il devient alors caduc (Civ.1, 30 octobre 2008, n°07-17.646). Le cas le plus classique est celui des contrats interdépendants dont l’un disparaît.
La règle a été reprise à l’article l’article 1186 : « Un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. » Nous préciserons ce principe en étudiant la caducité dans la partie sur les sanctions.