La question de la séparation entre le délit (au sens civil) et le contrat soulève essentiellement deux enjeux :

  • l’un pour le cocontractant (ai-je le choix du fondement de mon action ? Comment le champ du contrat est limité?)
  • l’autre pour les tiers (puis-je me prévaloir d’un contrat dont je suis tiers ou qu’il me crée des obligations ?)

Cette partie s’inscrit dans la partie sur les règles générales du droit des obligations de notre manuel de droit des obligations.

I. Non-cumul et frontières du contrat

Pour aller plus loin :

  • Malaurie et al., p.581-593

Principe de « non-cumul des responsabilités »

La responsabilité délictuelle est « sans application lorsqu’il s’agit d’une faute commise dans l’exécution d’une obligation résultant d’un contrat » (Civ., 11 janvier 1922, Pelletier, GAJC). Il n’y a pas de choix. Cela signifie aussi que la responsabilité contractuelle est spéciale et la délictuelle est générale. Ce principe a toutefois des limites, notamment quant à la période et aux parties concernées.

Contrat ou pas ?

L’enjeu de savoir si le litige est contractuel ou délictuel peut être très important. Par exemple, le dommage délictuel est plus largement indemnisé : il peut s’étendre au-delà des prévisions des parties et ne peut pas être limité par une clause limitative de responsabilité.

Pourtant, la différence peut être ténue. Prenons une personne prenant le train avec un ticket et une autre en fraudant : en cas d’accident, la première pourra engager la responsabilité contractuelle de la compagnie, alors que la seconde pourra engager sa responsabilité délictuelle. (Civ.1, 1er décembre 2011, n°10-19.090)

Ce simple exemple devrait vous faire saisir l’étroitesse des limites du contrat et de sa capacité à créer une « bulle », limitée temporellement et matériellement, soustrayant certaines actions des parties aux règles délictuelles. Notez qu’en cas d’infraction pénale, la responsabilité est nécessairement délictuelle (Malaurie et al., p.592).

Arrêts:

Acte détachable du contrat ou non ?

Une partie à un contrat peut commettre envers l’autre un délit civil ordinaire : lui donner un coup de poing, l’insulter publiquement ou autre. S’agira-t-il de responsabilité contractuelle ?

Selon Malaurie et al. (p.588), il serait nécessaire qu’il y ait un rapport, un lien de causalité entre l’obligation contractuelle et le dommage.

L’avant et l’après

Les fautes réalisées avant ou après le contrat sont délictuelles. Il pourra, par exemple, s’agir de la rupture abusive des pourparlers (Com., 20 mars 1972, n°70-14.154).

Cette question n’est pas toujours évidente. Ainsi, l’obligation de conseil sera rattachée à l’obligation contractuelle, alors qu’elle se réalise avant. (Benabent, §282)

La limite au niveau de la fin du contrat peut aussi être floue (Civ1., 7 mars 1989, commenté).

Arrêts:

Tiers ou partie ?

La notion de partie au contrat n’est pas évidente. Andreu et Thomassin (p.253) proposent la définition suivante : « les parties au contrat sont les personnes qui ont voulu créer, par la rencontre de leurs volontés, les effets de droit actuels « pour elles-mêmes » (Art.1203, anc art.1119) ». Les tiers sont simplement les autres.

Toutefois, les tiers peuvent ne pas être étrangers au contrat. Ainsi, il y a des personnes sont le statut de tiers ou de partie sera ambigu : les cautions, représentants, notaires … Bref, ceux qui sont étrangers au contrat sans vraiment l’être1.

1 Je ne parle pas des ayants droit (héritiers, personnes exerçant une action oblique, etc.) : ils exercent l’action du contractant.

II. L’effet relatif des contrats

En principe, « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. » ( Art.1199, anc. 1165) On parle de l’effet relatif des contrat. Cette règle a pour vocation à traduire la liberté contractuelle1 : le contrat est l’expression de la volonté des parties de s’engager. Son cœur est donc l’interdiction de créer des obligations à la charge des tiers. Comme nous allons le voir, rien n’empêche de stipuler ou de promettre pour autrui.

Pour aller plus loin :

  • Malinvaud et al., p.348-379 ; Fages, p.197-222 ; Houtcieff, p.454-482 ; Andreu et Thomassin, p.252-288

Promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort est prévue par l’article 1204 du code civil :

On peut se porter fort en promettant le fait d’un tiers.

Le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts.

Lorsque le porte-fort a pour objet la ratification d’un engagement, celui-ci est rétroactivement validé à la date à laquelle le porte-fort a été souscrit.

On distingue en principe le porte-fort d’exécution (relatif à l’exécution d’une certaine prestation2) et le porte-fort de ratification. (Com,. 13 décembre 2005, n°03-19.217)

Le porte-fort d’exécution a entraîné beaucoup d’incertitudes sur trois points :

  • s’agissait-il d’un engagement autonome à l’engagement garanti ?
  • Son inexécution devait-elle être sanctionnée par des dommages et intérêt ou une substitution au débiteur ?
  • Le montant de l’engagement devait-il répondre aux exigences de l’ancien article 1326, imposant la mention manuscrite par le promettant « exprimant sous une forme quelconque, mais de façon explicite et non équivoque, la connaissance qu’il avait de la nature et de l’étendue de l’obligation souscrite » ?

Pour le premier point, l’arrêt de 2005 répondait que l’engagement du débiteur était « accessoire » à l’engagement principal. Cette solution a été contredite par l’arrêt du 1er avril 2014 (Com., commenté).

Sur le second point, l’arrêt de 2005 avait pu laisser penser que le porte-fort d’exécution pouvait entraîner, pour le promettant, l’obligation de se substituer au débiteur. Selon A.Riera (AJ Contrat 2017.262), cette solution a été invalidée par l’arrêt du 18 juin 2013 (Com., n°12-18.890), ce qu’aurait confirmé l’arrêt du 8 juillet 2014 (Com., n°13-14.777)3. Le nouvel article 1204§2 tranche : « Le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts. » La substitution au contractant défaillant n’est donc pas possible.

Sur le troisième point, l’arrêt de 2005 avait posé que le porte-fort d’exécution était soumis aux exigences de l’ancien article 1326. Cela permettait de le distinguer du cautionnement, pour éviter qu’il en devienne une forme sans aucune protection pour le promettant (AJ Contrat 2017.262). Cette solution a été renversée par un arrêt du 18 juin 2013 (Com., n°12-18.890), à propos d’un dirigeant promettant l’exécution par son entreprise des clauses et conditions d’un contrat4, puis par l’arrêt du 8 juillet 2014 (Com., n°13-14.777), à propos d’un engagement portant sur une somme d’argent.

1 L’autonomie de la volonté, selon Malinvaud et al. (p.361).

2 Ce porte-fort ne concerne pas que l’exécution d’une obligation. Il peut aussi porter sur un comportement n’étant pas contraint (Com., 1er avril 2014, n°13-10.629).

3 Je ne comprends pas pourquoi, ces deux arrêts jugeant que, la promesse de porte-fort étant une obligation de faire, elle n’était pas soumise à l’obligation de mentionner le montant de l’obligation en chiffres et en lettres prévue à l’article 1326. Selon l’auteur, cette interprétation résulterait de la distance qu’une telle solution marque avec le régime du cautionnement (qui, lui, prévoirait que la caution puisse être substituée au débiteur défaillant).

4 Cet arrêt a pu être interprété comme un revirement de jurisprudence (RDS 2015.89). Toutefois l’arrêt me semble ambigu et, peut-être, malgré la formulation générale, la solution ne valait-elle que pour les promesses pourtant, comme en l’espèce, sur une obligation de faire.

Arrêts:

Pour aller plus loin :

  • Riera A., « Le porte-fort et le droit des sûretés », AJ Contrat 2017.262
  • Barbier H., « La sanction du porte-fort inexécuté : des dommages-intérêts mais pas de résolution… une solution contestable », RTD Civ. 2018.396

Stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui est définie par l’article 1205 :

On peut stipuler pour autrui.

L’un des contractants, le stipulant, peut faire promettre à l’autre, le promettant, d’accomplir une prestation au profit d’un tiers, le bénéficiaire. Ce dernier peut être une personne future, mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse.

Magnifique schéma

L’exemple classique est le contrat d’assurance-vie. Le stipulant est alors le client et le promettant est la compagnie d’assurance.

La possibilité pour le stipulant de se rétracter (on parle de révocation de la stipulation) est prévue par les articles 1206 et 1207 : il « peut librement révoquer la stipulation tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée. » (Art.1206§2) Cette révocation n’a toutefois d’effet qu’une fois que « le tiers bénéficiaire ou le promettant en a eu connaissance. » (Art.1207§3) Une fois la promesse acceptée par le bénéficiaire et que cette acceptation parvient au promettant ou au stipulant, elle est irrévocable (Art.1206§3).

L’effet de la stipulation est rétroactif, qu’elle soit acceptée, auquel cas elle a pris effet dès l’acte du stipulant (Art.1206§11), ou qu’elle ait été révoquée, auquel cas elle est réputée n’avoir jamais existé (Art.1207§5). L’acceptation peut être expresse ou tacite (Art.1108).

En principe, le décès du bénéficiaire ou du promettant entraîne simplement la transmission de l’obligation aux héritiers, même si elle n’a pas encore été acceptée (Art.1108). Si les héritiers du promettant souhaitent révoquer la promesse, ils ne pourront le faire « qu’à l’expiration d’un délai de trois mois à compter du jour où ils ont mis le bénéficiaire en demeure de l’accepter. » (Art.1207§1)

La nature tripartite de ce dispositif peut poser des difficultés, notamment pour savoir quelles exceptions sont opposables. L’exécution de la stipulation peut être demandée tant par le bénéficiaire (Art.1206) que par le stipulant (Art.1209). Comment le promettant peut se défendre ? Le promettant peut opposer au bénéficiaire de la stipulation tous les arguments qu’il pourrait opposer au stipulant. La réforme ne semble pas avoir eu d’impact : « Les nouveaux articles 1206 à 1209 du code civil sont consacrés au régime de la stipulation pour autrui et ne font à cet égard que reprendre la jurisprudence patiemment élaborée depuis le xixe siècle. » (Laroumet et Mondolini, répertoire civil Dalloz, « Stipulation pour autrui », §3)

On voit bien, s’agissant de la promesse de porte-fort ou de la stipulation pour autrui, qu’il n’y a pas de création d’obligation à la charge d’un tiers. Il s’agit dans le premier cas d’une possibilité lui étant ouverte et dans le second d’une obligation en sa faveur.

1«  Le bénéficiaire est investi d’un droit direct à la prestation contre le promettant dès la stipulation. »

Arrêts:

Pour aller plus loin :

  • Terré et al., p.567 ; Malinvaud et al., p.84-87 ; Houtcieff, p.474-477 ; Malaurie et al., p.447-456

Les chaînes de contrats

L’effet relatif des contrats pose problème lorsque plusieurs contrats s’enchaînent, par exemple lors de ventes successives. Il ne s’agit pas d’une thème de droit des obligations, mais de droit des contrats spéciaux. On le voit pourtant souvent dans les manuels. L’aborder est donc nécessaire pour votre culture juridique.

S’agissant de l’action en garantie des vices cachés ou en non-conformité, l’action directe du sous-acquéreur est contractuelle lorsqu’un même bien a été transmis plusieurs fois (« lorsqu’il y a une chaîne de contrats translatifs de propriété. », Malaurie et al. p.585). On dit classiquement que la chose se transmet avec ses accessoires comme, par exemple, une clause compromissoire (Civ.1, 17 novembre 2010, n°09-12.442).

S’agissant des chaînes de contrats de nature différente, l’arrêt du 7 février 1986 avait posé que « le maître de l’ouvrage comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ; qu’il dispose donc à cet effet contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée ». (Plén., n°83-14.631) Cette solution a été invalidée par l’arrêt Besse (Plén., 12 juillet 1991) : l’action du prestataire contre le fournisseur du fournisseur est délictuelle. Selon Houtcieff, les deux arrêts doivent être conciliés comme posant que « l’action se transfère dès lors que les contrats qui se succèdent emportent un transfert de la propriété, peu important la nature des conventions successives » (p.481).

Pour aller plus loin :

  • Malinvaud et al., p.361-367 ; Houtcieff, p.479-482

Fraude et simulation

Il arrive que des personnes concluent un contrat ayant pour objet d’en dissimuler un autre. On parle d’une contre-lettre et de simulation. Cela a plusieurs utilités : permettre les pots de vin, faire passer un contrat (ex : donation) pour un autre (ex : vente), dissimuler un ou plusieurs contractants, etc. (Terré et al., p.593)

L’effet de l’acte dissimulé est prévu par l’article 1201 : « Lorsque les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte, ce dernier, appelé aussi contre-lettre, produit effet entre les parties. Il n’est pas opposable aux tiers, qui peuvent néanmoins s’en prévaloir1. »

La contre-lettre est donc risquée pour les parties. Les tiers pourront se prévaloir de l’acte apparent comme de la contre-lettre. Notez qu’il n’est pas nécessaire, pour que l’action en simulation soit efficace, de démontrer la volonté frauduleuse des parties (Civ.3, 4 juin 2003, n°02-12.275).

Par exception, la contre-lettre peut être nulle, même entre les partie. D’après l’article 1202 :

« Est nulle toute contre-lettre ayant pour objet une augmentation du prix stipulé dans le traité de cession d’un office ministériel.

Est également nul tout contrat ayant pour but de dissimuler une partie du prix, lorsqu’elle porte sur une vente d’immeubles, une cession de fonds de commerce ou de clientèle, une cession d’un droit à un bail, ou le bénéfice d’une promesse de bail portant sur tout ou partie d’un immeuble et tout ou partie de la soulte d’un échange ou d’un partage comprenant des biens immeubles, un fonds de commerce ou une clientèle. »

1 L’ancien article 1321 prévoyait déjà « Les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu’entre les parties contractantes; elles n’ont point d’effet contre les tiers. » La jurisprudence permettait déjà aux tiers de se prévaloir de la contre-lettre (Terré et al. p.600,

Arrêts:

Pour aller plus loin :

  • Malinvaud et al., p.224-230 ; Fages, p.231-236 ; Malaurie et al., p.411-416

Le contrat comme fait juridique

Pour les tiers, le contrat est un fait juridique. Le contrat ne peut donc pas créer des obligations à leur charge ou protéger les contractants d’éventuelles poursuites. Réciproquement, l’article 1200 prévoit que :

« Les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat.Ils peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait. »

S’est posée une question très importante : est-ce qu’une faute contractuelle pour les parties constitue une faute délictuelle pour les tiers ? L’arrêt du 6 octobre 2006 (Plén., n°05-13.255) a d’abord affirmé que oui : « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage »1.

Il s’agit d’un des grands débats du droit et cette solution est énergiquement contestée. La doctrine lui reprochait notamment de mettre les tiers dans une situation plus favorable que le cocontractant (bénéfice de tous les régimes de responsabilité délictuelle, inopposabilité des clauses limitatives de responsabilité …).

Non seulement la doctrine, mais également les juges contestaient cette décision, et il y a eu plusieurs arrêts dissidents (Civ.1, 15 déc. 2011, n°10-17691). Deux très récents, rendus coup sur coup par deux chambres distinctes (Com., 18 janvier 2017 ; Civ.3, 18 mai 2017, commentés), laissent même sérieusement douter de la pérennité de la solution de l’arrêt de 2006.

Selon Fages (p.210) le fait que cette forme d’opposabilité n’ait pas été reprise par l’article 1200 du code civil serait, en fait, un rejet de la jurisprudence de 2006. Soulignons également que l’avant-projet de réforme de la responsabilité extracontractuelle l’écarte clairement (article 1234).

1 Sur la divergence jurisprudentielle ayant justifié cet arrêt : Fages, p.208-210

Arrêts:

Pour aller plus loin :

  • Bloch L., « Rapports entre responsabilité délictuelle et responsabilité contractuelle – Responsabilité d’un contractant envers les tiers », RCA 2017, n°9, comm. 212 ; Mazeaud D., « Relativité de la faute contractuelle, le retour ? », D.2017. 1036
  • Malaurie et al., p.584 et s. ; Malinvaud et al., p.352-356 ; Bénabent, p.209-219
  • Art.1234 du projet de réforme du droit de la responsabilité civile