Avant 1985, les accidents de la route donnaient lieu à un contentieux diversifié et complexe : plusieurs types de responsabilités pouvaient être mis en œuvre et aucun n’était vraiment adapté à cette matière assez spécifique. Le législateur a donc créé un régime de responsabilité avec la loi n°85-677 du 5 juillet 1985. Les modalités d’application de ce régime sont codifiées dans le code de la route aux articles L. 122-1 et suivants.

Il s’agit d’un régime spécial s’appliquant, « même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres » (Art.1 de la loi de 1985).

Toutefois, il est admis que « le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, dont il est aussi le gardien, victime d’un accident de la circulation, ne saurait invoquer cette loi lorsque seul son véhicule est impliqué dans l’accident » (Civ.2, 7 décembre 2006, n°03-19.924).

I. Les conditions de mise en œuvre

Pour que le présent régime soit applicable, il faut un VTM impliqué dans un accident de la circulation.

Un véhicule terrestre à moteur (VTM) …

Au-delà des simples automobiles, motos ou camions, il y a des centaines de types d’engins terrestres à moteur : les engins agricoles (tracteur, moissonneuse batteuse1 …), les nacelles auto-portées (Crim., 15 janvier 2008, n°07-80.800), les chariots élévateurs (Civ.2, 25 mai 1994, n°92-19.455) …

Globalement, il s’agit de tous les engins disposant d’un moteur destiné au déplacement sauf les remorques ou semi-remorques, qui sont en principe assimilées aux VTM qui les tractent.

Se pose le problème des véhicules-jouets.

1 Respectivement Civ.2 5 juin 1991, n°90-12.314 et Civ.2 10 mai 1991, n°90-11.377

Les véhicules – jouet sont-ils des véhicules terrestres à moteur (VTM) ?

S’agissant des jouets, on trouve trois arrêts. L’un juge que le « véhicule miniature réservé à des enfants en bas âge en dessous de 5 ans, assimilable à un jouet et non soumis à l’obligation de l’assurance automobile obligatoire » (Civ.2, 4 mars 1998, n°96-12.242). D’après P.Jourdain, « ces engins sont incontestablement des véhicules terrestres à moteur ». La solution du juge serait une décision d’opportunité et proche de l’esprit de la loi, qui n’a jamais prévu de viser de simples jouets.

L’autre arrêt porte sur un accident causé par une moto-jouet1 ayant un moteur à essence de 80cm3 (CA Douai, 29 juin 2000, n°1997/08518). L’enfant circulait avec dans une route à sens unique et a percuté une voiture à une intersection. Le juge releva notamment que l’utilisation que faisait l’enfant de la moto le jour de l’accident « n’était plus celle d’un jouet mais d’un véhicule qui le transportait et avec lequel il circulait en empruntant des voies publiques ».

Le dernier est assez récent, datant du 22 octobre 2015 (Civ.2, n°14-13.994). Une fillette roulait avec une moto-jouet, en perdit le contrôle et a percuté une remorque en stationnement. Le juge a décidé que l’engin « se déplaçait sur route au moyen d’un moteur à propulsion, avec faculté d’accélération, et ne pouvait être considérée comme un simple jouet ». Il s’agissait donc d’un VTM.

1 Je ne détaille pas, mais la définition de jouet que donne la Cour d’appel semble assez discutable, surtout vu que le moteur pouvait faire définir l’engin de cyclomoteur (>50cm3)

L’implication du VTM dans l’accident

Peu après la promulgation de la loi de 1985, la Cour avait une conception assez restrictive de l’implication. Elle refusait par exemple que les véhicules en stationnement soient impliqués s’ils ne perturbaient pas la circulation (Civ.2, 21 juillet 1986, n°85-12.472) et admettait que les personnes participant à un accident complexe s’exonèrent en prouvant qu’elles n’étaient pour rien dans le dommage (Civ.2, 28 juin 1989 n°88-16.149).

Toutefois, les conditions ont rapidement été élargies, que ce soit s’agissant des accidents complexes (Civ.2, 24 février 2000, n°98-12.731) ou du stationnement (Civ.2, 23 mars 1994, n°92-14.296).

Arrêts:

La notion d’implication est maintenant très large. La Cour de cassation l’a définie le 28 févr. 1990 (Civ.2, n°88-20.133) : « un véhicule est impliqué dans un accident de la circulation dès lors qu’il est intervenu d’une manière ou d’une autre dans cet accident ». La formule est reprise avec quelques variations de forme, mais toujours le même fond. Par exemple, selon l’arrêt du 15 janvier 2015 (Civ.2, n°13-27.448) : « un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de la circulation dès lors qu’il a joué un rôle quelconque dans sa réalisation ».

L’implication est-elle une sorte de lien de causalité très assoupli ? Il est clair que les deux notions sont distinctes : de même que l’absence de faute qualifiée au sens de l’article 121-3 du code pénal n’implique pas l’absence de faute délictuelle, le fait le juge pénal ne reconnaisse pas une causalité n’oblige pas le juge civil à reconnaître qu’il n’y a pas d’implication. (Ex : Civ.2, 17 mars 1993, n°91-16.676).

Dans tous les cas, elle est très largement reconnue. L’exemple qui me semble en être le plus symptomatique est celui de l’arrêt du 24 avril 2003 (Civ.2, n°01-13.017). Un camion de balayage de la voirie avait projeté des gravillons devant une maison. La propriétaire sortit pour les balayer, glissa dessus et se blessa. La Cour jugea que le VTM était impliqué et qu’il s’agissait d’un accident de la circulation … Il a même été jugé récemment que des véhicules endommagés par un incendie s’étant déclaré dans un parking souterrain étaient impliqués dans un accident de la circulation (Civ.3, 3 mars 2016, n°14-24.965).

En matière d’accidents complexes, la nouvelle conception simplifie largement leur résolution : chaque victime peut poursuivre chaque conducteur.

Par exemple, l’arrêt du 2 octobre 2008 (Civ.2, n°07-15.902) portait sur un carambolage impliquant trois véhicules. Une automobile (A) avait été percutée par un poids lourd (B) et envoyée dans le fossé. En tentant de l’éviter, B perdit le contrôle de son véhicule, qui se coucha sur la route, avant d’être percuté par une automobile C. La victime A a pu poursuivre efficacement sur le fondement du présent régime tant B que C.

Au contraire, dans l’arrêt du 13 décembre 2012 (Civ.2, n°11-19.696), une voiture ayant reçu des gouttes d’acide suite à la collision entre un véhicule la dépassant et une voiture arrivant en sens inverse a été jugée ne pas être impliquée dans cet accident.1

1 Cette solution semble discutable, le dépassement de la voiture ayant été justifié par la présence de la file de voiture. Pourquoi les véhicules la composant et ayant empêché le responsable de se rabattre n’ont pas été jugés être impliqués ?

Arrêts:

Pour aller plus loin :

  • Groutel H., « Implication : accident causé par un automobiliste poursuivi par un véhicule de police », RCA 2017, n° 11, comm. 273

La notion d’accident

Un accident est un événement fortuit, imprévu. Ce critère exclut donc les suicides et tous les actes intentionnels (ex : Civ.2, 12 décembre 2002, n°00-17.433). On retrouve la difficulté classique s’agissant des fautes intentionnelles : faut-il avoir voulu l’action ou bien, en plus, ses conséquences ?

Par exemple, si un conducteur tente de faire peur à un auto-stoppeur en roulant en sa direction, mais estime mal les distances et le percute ? Il n’aura pas voulu le blesser, mais il faudra bien admettre qu’il aura mis en place toutes les conditions pour. Le juge a été confronté à ce cas et a jugé que le dommage était intentionnel (Crim., 6 février 1992, n°90-86.966).

Dans une autre affaire (30 novembre 1994, n°93-13.399), des malfrats avaient utilisé un tractopelle pour défoncer un mur, entrer dans des locaux et voler un coffre fort. L’engin est resté bloqué dans les décombres et a pris feu. On a jugé que les dégâts résultants de l’incendie ayant suivi ne pouvaient être indemnisés sur le fondement du présent régime.

Plus discutable, une conductrice de scooter tombant sous un bus en étant poussée par un passant ivre ne peut se prévaloir de la loi de 1985 contre le propriétaire du bus, la faute à l’origine du dommage ayant été intentionnelle (Civ.2, 11 décembre 2003, n°00-20.921).

D’après M-C Lambert-Piéri, la loi de 1985 est en général inapplicable lorsque « la faute volontaire a engendré un dommage qui n’était pas voulu, mais qui est la conséquence d’un dommage que l’auteur a recherché »1.

1 Répertoire de droit civil Dalloz, « Régime des accidents de la circulation », §30

La notion de circulation

L’accident doit être relié à un « fait de circulation ». La notion de circulation est entendue très largement et n’exclut pas que le régime soit applicable à un accident se produisant à l’intérieur, dans un champ ou un parking.

Ont par exemple été jugés en circulation une nacelle auto-portée dans un atelier (Crim. 15 janv. 2008, n°07-80.800), deux tracteurs manœuvrant dans la Cour d’une ferme (Civ.2, 5 juin 1991, n°90-12.314) et une voiture dans le cadre d’un tournage de film sur une voie fermée (Civ.2, 14 juin 2012, n°11-13.347, Taxi 2).

Les courses de voitures ou de moto ont un traitement spécial. Un arrêt du 28 février 1996 (Civ.2, n°93-17.457) a posé que le présent régime n’était pas applicable « entre concurrents d’une compétition sportive dans laquelle sont engagés des véhicules terrestres à moteur ». Un arrêt du 4 janvier 2006 (Civ.2, n°04-14.841) a étendu cette solution, posant que « l’accident survenant entre des concurrents à l’entraînement évoluant sur un circuit fermé exclusivement dédié à l’activité sportive n’est pas un accident de la circulation ».

La question est moins simple lorsque le VTM est immobile. Il est constant que le stationnement sur la voie publique est un fait de circulation (Civ.2, 22 novembre 1995, n°93-21.221) … en principe.

Si un incendie se déclare dans un parking et endommage des voitures y étant stationnées, il s’agit d’un accident de la circulation (Civ.3, 3 mars 2016, n°14-24.965). Au contraire, si un incendie se déclare dans le hall d’immeuble où un motocycle est stationné, il ne s’agit pas d’un accident de la circulation au motif qu’il était en « stationnement dans un lieu d’habitation impropre à cette destination » (Civ.2, 26 juin 2003, n°00-22.250).

En outre, s’il s’agit d’un véhicule-outil, il faut, pour qu’il s’agisse d’un fait de circulation, que le dommage ne soit pas du tout lié aux fonctions motrices du véhicule, mais au dynamisme propre de l’outil qu’il porte (Civ.2, 13 septembre 2012 ; Civ.2, 18 mai 2017 ; Civ.2, 19 octobre 2006, commentés).

Arrêts

L’exception des « trains et tramways circulant sur des voies leur étant propres »

Sont exclus du régime tous les véhicules utilisant les voies ferrées (train, métros, funiculaires …) non utilisables par d’autres véhicules. La question des passages à niveau et autres intersections, où les véhicules sur rail et sur roue peuvent se croiser, est plus difficile. Dans l’absolu, les deux passent dessus, il ne devrait donc pas s’agir d’une voie propre.

S’agissant des croisements train/voiture, l’arrêt du 17 novembre 2016 (Civ.2, n°15-27.832) avait jugé que le présent régime ne s’appliquait pas au motif qu’ « une voie ferrée n’est pas une voie commune aux chemins de fer et aux usagers de la route, ces derniers pouvant seulement la traverser à hauteur d’un passage à niveau, sans pouvoir l’emprunter ».

L’arrêt du 16 juin 2011 (Civ.2, n°10-19.491) portait sur la collision à un croisement entre un tramway et un camion de pompier en intervention. La Cour de cassation avait jugé qu’« un tramway qui traverse un carrefour ouvert aux autres usagers de la route ne circule pas sur une voie qui lui est propre ».

II. Le dommage réparable dans le régime de responsabilité des accidents de la route

Le dommage doit, pour être indemnisable, avoir été causé par l’accident. Ce point peut être difficile : si une personne a une crise cardiaque juste après, son décès sera-t-il rattaché à l’accident ?

La solution dépend d’abord de la proximité temporelle entre l’accident et le dommage. Si ce dernier survient pendant ou immédiatement après (et apparaît de manière crédible en rapport avec l’accident), le lien est présumé. Par exemple, dans le cas de la crise cardiaque, le juge a décidé que oui, au motif « qu’il n’était pas exclu que l’émotion provoquée par la collision ait pu jouer un rôle dans le processus mortel » (Civ.2, 19 février 1997, n°95-14.034).

Classiquement, les dommages étant les conséquences d’opérations rendues nécessaires par l’accident, comme une complication lors de l’opération subséquente (Civ.2, 27 janv. 2000, n°97-20.889) ou la contamination par du sang contaminé (Civ.1, 4 déc. 2001, n°99-19.197), peuvent être imputés aux conducteurs impliqués.

Le dommage résultant de l’atteinte à la personne (= le dommage corporel) et le dommage matériel sont traités différemment : le régime d’exonération est, comme nous le verrons plus tard, défavorable pour les dommages matériels. Notons que les « les fournitures et appareils délivrés sur prescription médicale » sont assimilés au dommage corporel.

S’agissant du préjudice par ricochet, l’article 6 de la loi de 1985 prévoit :

« Le préjudice subi par un tiers du fait des dommages causés à la victime directe d’un accident de la circulation est réparé en tenant compte des limitations ou exclusions applicables à l’indemnisation de ces dommages. »

Pour l’essentiel, nous vous renvoyons à notre étude du dommage dans la partie sur les règles générales.

III. La personne responsable

« Dès l’entrée en vigueur de la loi de 1985, la jurisprudence a déduit des dispositions mêmes de cette loi, la règle selon laquelle celle-ci s’applique, a l’exclusion du droit commun de la responsabilité, au conducteur ou gardien d’un VTM impliqué dans l’accident, et elle en a étendu la portée aux rapports entre le conducteur et le gardien du même véhicule impliqué dans l’accident, dont l’un ou l’autre ou les deux seraient victimes. »

Lambert-Piéri, Répertoire civil Dalloz, Responsabilité – Régime des accidents de la circulation, §115

Conducteur, gardien et propriétaire

La notion de conducteur peut poser problème : un passager qui donne un coup de volant est-il conducteur ? Une personne mettant son casque en « se tenant debout, les deux pieds au sol, le cyclomoteur entre les jambes » est-elle conductrice ?

La Cour de cassation a répondu non à la première question (Civ.2, 23 mars 2017, n°15-25.585) et oui à la seconde (Civ.2, 29 mars 2012, n°10-28.1292). Globalement, la condition de conducteur semble se rattacher étroitement au fait d’occuper le poste de commande (Crim., 31 mai 2016, commenté).

Cette notion a posé d’autres difficultés dans les cas d’accidents en chaîne : comment juger une personne qui, suite à un premier accident, a été percutée après avoir été projetée de son véhicule ou étant sortie ?

Alors qu’elle avait tendance à juger que « le conducteur, éjecté lors d’un premier choc, perdait cette qualité à partir du moment précis où son corps s’était immobilisé sur la chaussée »3, la Cour de cassation a jugé récemment qu’un motard ayant chuté et donc le corps était resté immobile sur la route pendant un court moment était resté conducteur (Civ.2, 24 mars 2016, n°15-19.416).

La règle générale est « que la qualité de conducteur ou de piéton de la victime ne pouvait changer au cours de l’accident reconnu comme un accident unique et indivisible ». (Civ.2, 1 juillet 2010, commenté). On parle aussi d’accident complexe.

2 L’engin était au milieu de la chaussée. Il n’y avait pas de preuve qu’il était allumé ou non, mais le juge a laissé entendre que la solution aurait été la même dans les deux cas.

3 Groutel, Responsabilité civile et assurances n°6, Juin 2016, comm. 191

Arrêts:

Lorsque le conducteur et le gardien sont distincts, la victime peut poursuivre l’un comme l’autre (Civ.2, 6 juin 2002, n°00-10.187). Vous voyez ici reparaître la notion de garde, que nous avons déjà vue dans la responsabilité du fait des choses. Il s’agit bien de la même notion. Ainsi, le propriétaire est présumé avoir la garde de son véhicule. Même s’il passe le volant, il en reste le gardien s’il est dedans (Civ.2, 3 octobre 1990, n°89-16.113).

Le recours du propriétaire contre le conducteur est encadré par l’article 5 §2 de la loi du 5 juillet 1985 :

« Lorsque le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur n’en est pas le propriétaire, la faute de ce conducteur peut être opposée au propriétaire pour l’indemnisation des dommages causés à son véhicule. Le propriétaire dispose d’un recours contre le conducteur. »

La jurisprudence interprète ce texte au sens suivant :

  • seul ce recours est possible (Civ.2, 11 juin 2009, commenté)
  • cette responsabilité repose sur la faute du conducteur

Pour aller plus loin :

  • D.Actu., 15 juillet 2010, I. Gallmeister ; D.Actu., 07 juin 2017, L.Priou-Alibert (Sur la notion d’accident complexe)

Arrêts:

Un régime autonome et exclusif … parmi d’autres

Le recours de la victime contre le conducteur/gardien du VATM impliqué ne peut se faire que sur le fondement du présent régime. La Cour de cassation a explicitement posé que « l’indemnisation d’une victime d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions de la loi du 5 juillet 1985, à l’exclusion de celles des articles 1382 et suivants du Code civil » (Crim., 7 octobre 1992, n°92-80.210). Ce régime prévaut également sur le contrat (Ex : Civ.2, 21 juin 2001, n°99-15.732).

Le régime n’exonère pas les piétons et, si un piéton a causé un dommage à un conducteur, ce dernier peut évidemment lui demander indemnisation selon les règles ordinaires de la responsabilité délictuelle ou contractuelle (à propos de la responsabilité pour faute Civ.2, 19 janvier 1994, n°92-15.897 ; 15 mars 2007, n°06-12.680 ; à propos de la responsabilité des parents Civ.2, 19 février 1997, n°94-21.111).

Il n’impose pas non plus que la victime ne puisse poursuivre qu’un conducteur impliqué. La victime peut agir contre d’autres personnes.

Le préposé conduisant un VTM est-il responsable des accidents de la route dans lesquels il est impliqué ? L’arrêt Costedoat (Plén., 25 février 2000, n° 97-17.378) posait que « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ».

Toutefois, avec le présent régime, il pourrait être responsable en tant que simple conducteur. C’est d’ailleurs en ce sens qu’a d’abord décidé la Cour de cassation : « la victime d’un accident de la circulation, non conducteur […] peut demander, en application des dispositions de l’article 3 de la loi du 5 juillet 1985, la réparation de son préjudice au conducteur, eût-il été son préposé agissant dans l’exercice de ses fonctions ». (Civ.2, 6 mars 1991, n°89-15.697)

La Cour de cassation a ensuite étendu la solution de l’arrêt Costedoat à ce contentieux (Civ.2, 28 mai 2009, n°08-13.310) :« n’est pas tenu à indemnisation à l’égard de la victime le préposé conducteur d’un véhicule de son commettant impliqué dans un accident de la circulation qui agit dans les limites de la mission qui lui a été impartie ». Le juge laisse entendre que son commettant aurait été responsable.

Les recours entre coresponsables

Entre coresponsables, le principe a été clairement énoncé par la Cour de cassation (Civ.2, 1 juin 2011, n°10-20.036) : « Le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation et son assureur, qui a indemnisé les dommages causés à un tiers, ne peuvent exercer un recours contre un autre conducteur impliqué que sur le fondement » des articles 1240 (anc.1382) et 1346 (anc.1251)1 du code civil.

En somme, ce sont les règles relatives à la responsabilité in solidum qui s’appliquent. Les règles de répartition de la charge finale sont celles que nous avons vues dans la partie « règles générales » :

  • si aucune faute n’a été commise, la charge est répartie également entre les responsables
  • si un seul d’entre eux est fautif, il supporte l’intégralité de la charge
  • si plusieurs sont fautifs, ils supportent l’intégralité de la charge à proportion de leurs fautes respectives

1 Subrogation légale.

Arrêts:

IV. Un régime d’exonération à plusieurs vitesses

Ce régime est un des rares (le seul?) à exclure la force majeure des causes d’exonérations (art.2 de la loi de 1985). Seule la faute de la victime est source d’exonération.

L’indemnisation des victimes par ricochet se fait selon les modalités habituelles, « en tenant compte des limitations ou exclusions applicables à l’indemnisation de ces dommages. »(art.6 de la loi de 1985)

Il est évident que prouver l’absence des conditions d’application du régime (notamment la qualification d’accident) est aussi un moyen de défense. Je ne précise donc pas.

La faute inexcusable de la victime non-conductrice

Seule la faute inexcusable de la victime non-conductrice, « si elle a été la cause exclusive de l’accident »1 est exonératoire, sauf si elle a moins de 16 ans ou plus de 70 ans ou est reconnue comme ayant « un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité au moins égal à 80 % » (auquel cas aucune faute n’est exonératoire).

Le juge la définit ainsi : « seule est inexcusable au sens de ce texte la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » (Civ.2, 20 juillet 1987, n°86-16.287). L’application de cette définition est très casuistique.

Parmi de très nombreux exemples, prenons l’arrêt du 25 mars 1991 (Civ.2, n°90-10.769). Une personne (M.X), venait d’avoir un accident. Les gendarmes étaient là pour sécuriser la circulation. Toutefois,« refusant d’obtempérer aux injonctions des gendarmes qui lui donnaient l’ordre de ne pas rester en plein milieu de la chaussée alors qu’il faisait nuit, qu’il pleuvait et que la circulation était importante, M. X…, est resté sur place, gesticulant et hors de lui, et qu’au moment où arrivait la voiture de M. Y… à très faible vitesse, M. X…, qui marchait à reculons sur la route, s’est jeté contre son phare ».

On voit clairement une faute intentionnelle (refuser d’obtempérer, se mettre au milieu de la route, se jeter contre le phare), le danger était évident et il n’avait aucune raison valable de s’y exposer. On voit mal comment on pourrait juger son comportement d’excusable, sachant qu’il mettait en danger les autres conducteurs, qui auraient pu causer un autre accident en tentant de l’éviter. On peut même se demander si le présent régime aurait dû être appliqué, tant la victime semble avoir recherché le dommage. Malgré tout, sa faute n’a pas été jugée inexcusable.

Je ne vois aucune tendance émerger de la jurisprudence. En bref : la faute ne sera jamais inexcusable, sauf parfois.

Enfin, notons que la faute inexcusable doit avoir été « la cause exclusive » du dommage. Toute faute, même minime, du conducteur interdit donc en principe que l’exonération soit reconnue.

1 Notez que la formulation est très proche de la notion de force majeure, vu qu’on parle de « cause exclusive ».

Pour aller plus loin :

  • Répertoire Dalloz, Responsabilité du fait des accidents de la route, §213 et s.

Arrêts:

La faute du conducteur victime

Le conducteur victime peut se voir opposer toute faute qu’il aurait commise (art.41 de la loi de 1985). Ainsi, alors que la faute inexcusable n’est presque jamais reconnue, une faute aussi simple que le fait pour un motocycliste d’avoir mal fixé son casque peut diminuer l’exonération (Crim., 24 février 2015, n°14-82.350).

Pour être source d’exonérations, la faute de la victime doit avoir été causalement liée au dommage. Par exemple, si le fait d’avoir une alcoolémie de 0,85g/l de sang est une faute, elle ne va pas nécessairement réduire le droit à indemnisation (Plén., 6 avril 2007, n°05-81.350).

La faute de la victime pour les dommages matériels

Peu importe que la victime soit conductrice ou non, si sa faute a déterminé son dommage matériel, l’indemnisation de ce dernier sera réduite. Notez que « les fournitures et appareils délivrés sur prescription médicale donnent lieu à indemnisation selon les règles applicables à la réparation des atteintes à la personne. » (Art.5 §1 de la loi de 1985).

1 « Art.4 : La faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis. »