Pour unifier le contentieux entre les pays européens, la directive n°85/374/CEE du 25 juillet 1985 a créé un régime spécifique aux produits défectueux, qui a été transposé par la loi n°98-389 du 19 mai 1998, 10 ans après la date limite (31 juillet 1988). L’une des principales difficultés concerne le champ d’application du présent régime. Toutefois, il est nécessaire, pour le comprendre, de connaître les conditions d’efficacité de ce dernier, nous commencerons donc par celles-ci.

Il est régi par les articles 1245 à 1245-17 (nouveaux1) du code civil.

Pour aller plus loin :

  • Malaurie et al., p.177-187

I. Le dommage causé par un produit défectueux mis en circulation

Art.1245 : Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime.

Le dommage causé …

Le préjudice indemnisable est défini par l’article 1245-1 :

Les dispositions du présent chapitre s’appliquent à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne.

Elles s’appliquent également à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret [500€], qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même.

L’article 9 de la directive prévoyait que ne pouvaient être indemnisées que les dommages causés aux chosesd’un type normalement destiné à l’usage ou à la consommation privés et utilisées par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés.

Toutefois, vous aurez remarqué que le dispositif français ne fait pas la distinction. C’est une de ses spécificités. Ces dommages aux biens professionnels sont « hors du champ de la directive », le droit national est donc libre de prévoir les règles qu’il souhaite (CJUE, 4 juin 2009, Moteurs Leroy Somer, n°C-285/08). La Cour de cassation a récemment pu le rappeler : « en l’absence de limitation du droit national, l’article 1386-2, devenu 1245-1 du code civil s’applique au dommage causé à un bien destiné à l’usage professionnel » (Civ.1, 11 juillet 2018, n°17-20.154)2.

Un point difficile de ce régime est l’absence de réparation du dommage causé au produit défectueux : jusqu’où s’étend cette exclusion ?

Prenons l’arrêt du 14 octobre 2015 (Civ.1, n°14-13.847). Un voilier avait démâté lors d’une navigation. L’assureur du propriétaire ayant dû l’indemniser se retourne contre le fabricant. La Cour d’appel décida que devaient être indemnisés « les dommages constitués par le coût des travaux de remise en état du bateau ainsi que par les pertes de loyers et le préjudice de jouissance résultant de l’impossibilité de l’utiliser ». L’arrêt fut cassé au motif « qu’il n’était pas constaté que la défectuosité du produit consistait en un défaut de sécurité ayant causé un dommage à une personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même ».

Les dommages résultant d’une atteinte au produit défectueux incluent donc non seulement ceux liés à « l’atteinte matérielle au produit (coût des réparations, du remplacement) », mais aussi ceux en étant « des conséquences indirectes (troubles d’usage et de jouissance, pertes de loyers, pertes d’exploitation) ». (RTD Civ. 2016.137)

Ces dommages peuvent être réparés sur un autre fondement.

La question de la causalité est particulièrement problématique en matière médicale, comme en témoigne l’immense controverse autour du vaccin contre l’hépatite B, dont nous parlerons plus tard.

En dehors de ce domaine, il ne me semble pas y avoir grand-chose à dire, si ce n’est que la Cour de cassation a très récemment rappelé que « la simple imputabilité du dommage au produit incriminé ne suffit pas à établir son défaut ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage » (Civ.1, 27 juin 2018, n°17-17.469).

En l’espèce, un incendie s’était déclenché dans un local. Un expert avait situé le départ du feu dans le coffret de commande et de régulation d’une chambre froide. Toutefois, s’il avait été à l’origine de l’incendie, il ne pouvait pas affirmer si ce dernier avait été causé par un défaut d’origine de l’appareil (le câblage intérieur réalisé par la société J.) ou par l’intervention de l’installateur (la société M.). La Cour d’appel en avait déduit qu’il devait y avoir eu un défaut dans le transformateur, que celui-ci avait causé l’incendie et, donc, que le producteur était responsable. Son arrêt a été cassé au motif sus-cité.

Pour aller plus loin :

  • Traulle J., « Responsabilité du fait des produits défectueux – Les dommages réparables », Responsabilité civile et assurances n°1, Janvier 2016, dossier 4

1 Anciennement 1386 et suivants.

2 Attention à l’erreur du manuel Delebecque et Pansier (p.234) sur ce point.

… par un bien meuble …

L’article 1245-2 définit précisément les produits concernés par le présent régime :

Est un produit tout bien meuble, même s’il est incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l’élevage, de la chasse et de la pêche. L’électricité est considérée comme un produit.

Détail intéressant : selon une réponse ministérielle1, le présent régime « a vocation à englober l’intégralité de la catégorie juridique des meubles, à laquelle appartiennent les logiciels. » (Fages p.357).

La seule difficulté ici concerne les immeubles, qui sont au fond un assemblement de biens meubles. Toutefois, je n’ai pas d’éléments concernant la résolution de litiges impliquant cette nuance. Notons que la France est allée plus loin que la directive, qui n’exigeait pas l’inclusion des « produits du sol, de l’élevage, de la chasse et de la pêche » au présent régime.

1 Rép.Min. n°15 677, JOAN Q, réponse publiée le 24 aout 1998, disponible sur http://questions.assemblee-nationale.fr/q11/11-15677QE.htm , consulté le 09/04/2017

défectueux …

L’article 1245-3 définit la notion de produit défectueux :

« Un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre.

Dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu’un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation. »

La défectuosité consiste dans le défaut à la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Ainsi, un produit simplement dangereux à propos duquel une information adéquate est prodiguée ne sera pas nécessairement jugé défectueux (Civ.1, 5 avril 2005, n°02-11.9947).

La première question est donc de savoir quelle est l’information fournie avec le produit : notice, conditions générales de vente, etc.

Dans le cas des médicaments, le défaut d’un produit peut aussi être établi indépendamment de l’information, par « la mise en évidence de risques graves liés à son utilisation que ne justifie pas le bénéfice qui en est attendu »1. (Civ.1, 25 février 2016, n°15-11.257, sur le médiator) Cela peut néanmoins être rattaché à l’impératif d’attente légitime : on s’attend à ce que les médicaments aient une toxicité très inférieure aux avantages attendus.

1 La réciproque n’est pas appliquée dans le litige du vaccin contre l’hépatite B : peu importe que le vaccin ait eu un bilan bénéfice/risque très positif et ait sauvé des milliers de vie, il peut toujours être qualifié de défectueux (Civ.1, 10 juillet 2013, n°12-21.314).

Pour aller plus loin :

  • P.Jourdain, « La CJUE apporte d’utiles précisions sur la notion de produit défectueux et de dommage réparable (à propos de simulateurs et de défibrillateurs cardiaques) », RTD Civ. 2015.406

Arrêts:

en circulation.

La mise en circulation du produit est centrale à plusieurs égards. C’est d’une part le moment à partir duquel court la prescription et d’autre part la date à laquelle est apprécié la nature défectueuse du produit (comme nous l’avons vu) et si « le risque de développement » (que nous verrons) peut-être invoqué.

Elle est définie par l’article 1245-4 :

« Un produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi volontairement. »

La mise en circulation est présumée en conséquence de l’article 1245-10 1° et 3°, selon lesquels :

« Le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il ne prouve:

1o Qu’il n’avait pas mis le produit en circulation;

3o Que le produit n’a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution; »

La difficulté réside dans le fait que certains prestataires utilisent directement ce qu’ils produisent. La CJUE avait d’abord décidé dans un arrêt du 10 mai 2001 (CJUE, n°C-203/99, Veedfald) que « le fait qu’un produit utilisé dans le cadre d’une prestation de service ait été fabriqué par un tiers, par le prestataire de service lui-même ou par une entité qui lui est liée ne saurait, en soi, avoir d’incidence sur le fait qu’il a été mis en circulation » (§17).

Au contraire, l’arrêt Sanofi-Pasteur du 9 février 2006 (C-127/04) a posé qu’un produit est mis en circulation « lorsqu’il est sorti du processus de fabrication mis en œuvre par le producteur et qu’il est entré dans un processus de commercialisation dans lequel il se trouve en l’état offert au public aux fins d’être utilisé ou consommé ».

La doctrine n’est pas certaine s’il faut retenir la conception étroite (Sanofi-Pasteur) ou large (Veedfald) de la mise en circulation (Sabard O., « Responsabilité du fait des produits défectueux – La mise en circulation et ses effets », RCA 2016 n°1, dossier 9). On peut se demander si la question se pose encore, étant donné que le prestataire de service n’est pas assimilé à un producteur et sort du champ de la directive (CJUE, 21 décembre 2011, n°C-495/10).

Pour aller plus loin :

  • Sabard O., « Responsabilité du fait des produits défectueux – La mise en circulation et ses effets », RCA 2016 n°1, dossier 9

Arrêts:

II. Les personnes responsables

Le producteur et les personnes lui étant assimilées sont en principe responsables. Si aucun producteur ne peut-être identifié, c’est le distributeur (au sens large) professionnel qui peut être responsable.

Le producteur et les personnes assimilées

Le producteur et les personnes assimilées sont définies par l’article 1245-5 :

Est producteur, lorsqu’il agit à titre professionnel, le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première, le fabricant d’une partie composante.

Est assimilée à un producteur pour l’application du présent chapitre toute personne agissant à titre professionnel :

1° Qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif ;

2° Qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d’une vente, d’une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution.

Ne sont pas considérées comme producteurs, au sens du présent chapitre, les personnes dont la responsabilité peut être recherchée sur le fondement des articles 1792 à 1792-6 et 1646-1.

Cette dernière exclusion désigne un régime de responsabilité spécifique au constructeur d’un immeuble1. Il s’agit de droit immobilier, je ne précise pas.

La CJUE (21 décembre 2011, n°C-495/10) a décidé que le prestataire de service (un hôpital en l’espèce) ne pouvait pas être assimilé à un producteur et sortait du champ de la directive. Cette solution a notamment été reprise par l’arrêt du 12 juillet 2012 (Civ.1, n°11-17.510).

Si le défaut n’affecte qu’un composant du produit, le producteur peut être difficile à déterminer et à identifier. Pour éviter ce problème, l’article 1245-7 prévoit que :

En cas de dommage causé par le défaut d’un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l’incorporation sont solidairement responsables.

Le producteur de l’élément défectueux pourra alors s’exonérer en prouvant que le défaut n’était pas présent après qu’il se soit dessaisi de son produit.

1 Cela exclut « 1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage; 2o Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a construit ou fait construire;3o Toute personne qui, bien qu’agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d’un locateur d’ouvrage » (Art. 1792-1) ainsi que le vendeur de l’immeuble (Art. 1646-1)

Arrêts:

Les responsables en l’absence de producteur

L’article 1245-6 permet à la victime d’attaquer le vendeur dans l’hypothèse où le producteur ne peut pas être identifié :

Si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l’exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu’il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.

Le recours du fournisseur contre le producteur obéit aux mêmes règles que la demande émanant de la victime directe du défaut. Toutefois, il doit agir dans l’année suivant la date de sa citation en justice.

Une difficulté se pose lorsque le fournisseur est contrôlé par le producteur et que la victime saisit par erreur le premier. Ce cas s’était posé dans l’arrêt Sanofi-Pasteur, que nous avons déjà vu sous l’angle de la mise en circulation (9 février 2006, C-127/04). Cet arrêt portait également sur la possibilité, pour le producteur, d’être substitué en cours d’instance au fournisseur qu’il contrôlait. Toutefois, sa réponse n’ayant pas été claire, la juridiction nationale a encore posé une question préjudicielle, à laquelle la Cour répondit par un arrêt du 2 décembre 2009 (n°C-358/08).

Elle y décida qu’en principe la substitution d’une partie défenderesse à une autre en cours de procédure judiciaire pour échapper à la prescription est contraire à la directive (§62), principe auquel il y avait deux exceptions :

  • le producteur peut être substitué à la filiale fournisseuse qu’il possède à 100 % si la mise en circulation du produit concerné a été déterminée en fait par ce producteur1. Selon P.Jourdain, c’est ce contrôle du producteur sur la mise en circulation, qu’il pourrait empêcher alors même qu’ils auraient été transmis au distributeur, qui est le principal facteur (RTD Civ. 2010.340).
  • Le fournisseur peut être considéré comme un producteur si la victime n’a raisonnablement pas pu identifier le producteur du produit avant d’exercer ses droits à l’encontre du fournisseur. Cette solution approfondit l’article 1245-6, qui ne précisait pas si l’impossibilité d’identifier le producteur s’apprécie au moment de l’introduction de l’instance ou bien de manière générale.

Notons l’exclusion du crédit-bailleur et du loueur assimilable au crédit-bailleur des personnes pouvant être assimilées au producteur. D’après C.Caillé2, cela s’expliquerait « par le fait que ces personnes jouent un simple rôle financier et n’interviennent pas matériellement dans le processus de production-distribution. »

1 Ce point suppose que la mise en circulation soit opérée par le fournisseur, ce qui est dans la continuité de la solution de l’arrêt O’Byrne de 2006 (voir supra).

2 Répertoire Dalloz, entrée « Responsabilité du fait des produits défectueux », §22

Arrêts:

III. Champ d’application du régime

L’application dans le temps

La directive de 1985 n’a été transposée que le 19 mai 1998, alors que le délai de transposition n’était que de 3 ans. Ainsi, pour les litiges relatifs à des produits mis en circulation entre le 30 juillet 1988 et le 22 mai 1998, la directive est appliquée directement par les juridictions nationales, qui déclarent alors interpréter le droit « à la lumière de la directive » (ex : Civ.1, 28 avril 1998, n°96-20.421, à propos de transfusions sanguines).

Toutefois, cela ne permet pas au juge de contredire des lois impératives (CJUE 4 juillet 2006, Adeneler, C-212/04). Cela implique notamment que les règles relatives à la prescription prévues par la directive ne se sont pas appliquée dans cette période intermédiaire : le juge ne pouvait pas prétendre interpréter un texte clair et appliquer d’autres délai que celui qui était alors prévu par le code civil (Civ.1, 15 mai 2015 , n°14-13.151 ; Civ.1, 16 novembre 2016, n°15-26.018).

La loi de transposition est applicable « aux produits dont la mise en circulation est postérieure à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, même s’ils ont fait l’objet d’un contrat antérieur. »

Pour aller plus loin :

  • Hocquet-Berg S., « Action en responsabilité extracontractuelle contre le producteur :prescription applicable », RCA 2017 n°1, comm. 17

Arrêts:

Un régime exclusif limité

Dans la décision Gonzalez Sanchez de la CJUE du 24 avril 2002, le juge a décidé que la directive « ne saurait être interprétée comme laissant aux États membres la possibilité de maintenir un régime général de responsabilité du fait des produits défectueux différent de celui prévu par la directive. » (§30) Toutefois, elle « n’exclut pas l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute. » (§31) Cette dernière limitation interprète l’article 13 de la directive1 (repris par l’article 1245-17).

Cette solution a été confirmée par un arrêt du 10 janvier 2006 (CJUE, C-402/03), qui a précisé que la directive de 185 « poursuit, sur les points qu’elle réglemente, une harmonisation totale des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres » (§23).

Ce régime est donc, dans le champ d’application de la directive, exclusif de tout autre régime d’indemnisation (CJUE, 4 juin 2009, Moteurs Leroy Somer, commenté). Reste à définir ledit champ.

1 « La présente directive ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité existant au moment de la notification de la présente directive »

Arrêts:

Le champ d’application/exclusivité

Il n’y a pas encore eu de systématisation convaincante de la part de la doctrine. Je dois toutefois me livrer à cet exercice, qui me semble fondamental pour comprendre le présent régime. Le champ d’exclusivité de ce dernier semble supposer trois choses :

  • une action consistant à reprocher un dommage indemnisable sur le fondement du présent régime (CJUE, 4 juin 2009, n°C-285/08 ; repris par Com., 26 mai 2010, n°07-11.744) …
  • … causée par la défectuosité d’un produit1 (Com., 26 mai 2010, n°08-18.545 ; Civ.1, 17 mars 2016, n°13-18.876) …
  • … contre son producteur ou autre personne responsable prévue ou exclue par le présent régime2 (CJUE 10 janv. 2006, Bilka et Skov).

Cela laisseplusieurs autres actions ouvertes  :

  • les actions portant sur un dommage causé aux biens professionnels utilisés à cette fin par un produit mis en circulation pendant la « période intermédiaire » (fin du délai de transposition, 1988, et promulgation de la loi, 1998) (CJUE, 4 juin 2009, commenté ; Com.,26 mai 2010, n°07-11.744). Cette exception ne vaut pas pour les produits mis en circulation postérieurement à ladite période, le législateur français ne distinguant pas entre les dommages professionnels ou non3.
  • les actions portant sur un dommage causé au produit lui-même, qui peuvent être indemnisés sur le fondement régime de la garantie des vices cachés (RTD Civ. 2016 p.137), de l’obligation de sécurité ou autre. (Malaurie et al., p179)
  • L’ action « contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute ». Cela peut porter à confusion : qu’en est-il de la faute ou du vice caché correspondant à une défectuosité ? Il a été clairement affirmé que la faute imputée devait être « distincte du défaut de sécurité du produit » (Com., 26 mai 2010, n°08-18.545 ; Civ.1, 17 mars 2016, commenté).

On pourrait se demander : qu’en est-il d’un accident de la route causé par la défectuosité d’un produit ? En principe, ce n’est pas un problème, vu que les personnes en cause ne sont pas les mêmes : le régime des accidents de la route s’appliquera pour les actions contre les conducteurs ou gardiens et le présent régime s’appliquera pour les actions contre les producteurs ou assimilés. De plus, les fondements des deux régimes sont distincts : pour l’un il s’agit de l’implication d’un VTAM dans un accident et pour l’autre de la défectuosité d’un produit. Il semble donc que les champs de ces deux régimes ne se recouvrent pas. (Civ.1, 17 mars 2016, commenté)

1 Il me semble probable qu’il faille ajouter « mis en circulation », mais il ne s’agit que de mon opinion : aucun arrêt n’a eu besoin de le préciser.

2 Si le producteur n’est pas identifié, les fournisseurs lui sont assimilés et peuvent être efficacement poursuivis. (Art.1345-6)

3 Attention à cette erreur, qu’ont notamment faite Delebecque et Pansier dans leur manuel …

Pour aller plus loin :

  • Jourdain P., « Champ d’application de la directive : une précision quant à l’usage des produits litigieux et un rappel à propos des personnes responsables », RTD civ. 2017. 415 ; Borghetti S., « Qui doit répondre du dommage causé par un produit défectueux à des biens à usage professionnel ? », D. 2017. 626

Arrêts:

IV. Les motifs d’exonération

L’article 1245-10 décrit les moyens pour le producteur de se dégager de sa responsabilité.

Le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il ne prouve:

1o Qu’il n’avait pas mis le produit en circulation;

2o Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d’estimer que le défaut ayant causé le dommage n’existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ;

3o Que le produit n’a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution;

4o Que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut;

5o Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d’ordre législatif ou réglementaire.

Le producteur de la partie composante n’est pas non plus responsable s’il établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit.

Les exonérations spécifiques

Le °, 2°, 3° et 5° ne semblent pas poser problème. Notez que le 5° n’implique pas que le producteur puisse s’exonérer en prétendant que « le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l’art ou de normes existantes ou qu’il a fait l’objet d’une autorisation administrative », comme le précise l’article 1245-9.

La 4° présente de réelles difficultés. La doctrine l’appelle « l’exonération pour risque de développement ». La CJUE en a précisé la nature en posant que le producteur devait « établir que l’état objectif des connaissances techniques et scientifiques, en ce compris son niveau le plus avancé, au moment de la mise en circulation du produit en cause, ne permettait pas de déceler le défaut de celui-ci. » Il fallait bien sûr que la connaissance ait été accessible « au moment de la mise en circulation du produit en cause. » (CJUE, 29 mai 1997, n°C-300/95)

Notons que ce motif d’exonération est inopérant « lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci. » (Art.1245-11)

Les exonérations classiques

La faute de la victime est un motif d’exonération prévu par l’article 1245-12 :

La responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d’une personne dont la victime est responsable.

Cela est même étendu aux personnes dont la victime est responsable, ce qui inclut probablement les préposés et les enfants. Cela rend ce régime potentiellement moins avantageux que le régime commun de la responsabilité du fait des choses.

L’article 1245-13 exclut spécifiquement que le fait d’un tiers soit une source d’exonération :

« La responsabilité du producteur envers la victime n’est pas réduite par le fait d’un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage. »

D’après C.Caillé1, « la loi n’envisage que le fait d’un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage. Le fait du tiers cause exclusive du dommage reste donc régi par le droit commun : il constitue une cause d’exonération totale et toute indemnisation de la victime est exclue ». Toutefois je n’ai pas trouvé d’arrêts pour l’illustrer et je doute que cela soit un vrai motif d’exonération. D’abord parce qu’il est clairement exclu par le texte (concourir à un dommage inclut les éventualités « en partie » ou « en totalité ») et parce qu’il n’y aurait, en premier lieu, pas de lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage.

C.Caillé utilise d’ailleurs cet argument dans le paragraphe suivant (§91) : « En effet, en cas de force majeure, ou bien la victime sera dans l’impossibilité de rapporter la preuve, qui lui incombe, du lien de causalité entre le dommage et le défaut, ou bien le producteur pourra détruire l’apparence de causalité établie par la victime en démontrant le cas de force majeure. »

Les clauses limitatives de responsabilité sont privées d’effet, sauf entre professionnels pour les dommages professionnels, par l’article 1245-14 :

Les clauses qui visent à écarter ou à limiter la responsabilité du fait des produits défectueux sont interdites et réputées non écrites.

Toutefois, pour les dommages causés aux biens qui ne sont pas utilisés par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privée, les clauses stipulées entre professionnels sont valables.

1 Répertoire Dalloz, entrée « Responsabilité du fait des produits défectueux », §90

V. Dommage, preuve et prescription

La charge de la preuve

Le demandeur n’a pas à prouver l’antériorité du défaut, seulement « le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. » (Art.1245-8) De même pour la mise en circulation (Art.1245-10). Ce sont des présomptions simples.

Prescription

Il y a deux prescriptions alternatives (il suffit que l’une d’elles soit écoulée pour que le droit soit prescrit). La première est prévue par l’article 1245-15 :

Sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent chapitre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n’ait engagé une action en justice.

L’article laisse entendre que la faute du producteur est la seule raison qui puisse repousser le délai, excluant les causes habituelles de suspension ou d’interruption de la prescription. Je n’ai pas la réponse.

La seconde est prévue par l’article 1245-16 :

« L’action en réparation fondée sur les dispositions du présent chapitre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur. »

Notons que le texte fait référence à une connaissance « qu’aurait dû avoir » la victime. Elle ne peut donc pas « se prévaloir de sa propre négligence pour retarder la prescription de son action »1.

Une difficulté survient au moment de définir le délai de prescription applicable s’agissant de les litiges nés dans la « période intermédiaire » (entre la fin du délai de transposition et l’entrée en vigueur de la loi).

En effet, il résulte de la jurisprudence de la CJUE (4 juillet 2006, Adeneler, C-212/04) « que l’obligation pour le juge national de se référer au contenu d’une directive lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment les principes de sécurité juridique ainsi que de non-rétroactivité2, et que cette obligation ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national ». En somme, la CJUE met bien cette mécanique sur le plan de l’interprétation, qui ne permet pas de faire dire aux textes le contraire de ce qu’ils disposent clairement.

1 Répertoire Dalloz, entrée « Responsabilité du fait des produits défectueux », §95

2 La sécurité juridique est un principe communautaire (CJUE, 6 avr. 1962, aff. 13/61 notamment).

Ce principe s’oppose à ce que les règles de la directive s’appliquent aux litiges dont nous parlons (Civ.1, 15 mai 2015 , n°14-13.151). En effet : il n’est pas possible de faire dire à un texte prévoyant un délai partant d’un certain événement un autre délai partant d’un autre événement. Cette règle porte tant sur la durée du délai que son point de départ. En général, il faudra donc appliquer un délai de 10 ans à compter de la consolidation du dommage1 (Civ.1, 12 novembre 2015, n°14-17.146 ; 15 juin 2016 15-20022 ; 16 novembre 2016, commenté ; 17 janvier 2018, n°16-25817 ; 31 janvier 2018, n°17-11259).

Selon J-S Borghetti (RDC 2018, n°2, p.192), cette solution est potentiellement contraire au droit de l’union européenne et devrait faire l’objet d’une question préjudicielle (ce que la Cour refuse explicitement dans ses arrêts).

En effet, les délais prévu par la directive auraient pour objet de « circonscrire, à l’échelle communautaire, la responsabilité du producteur dans une période de durée raisonnable » (CJUE, 2 déc. 2009, n° C-358/08, Aventis Pasteur, pt 41) et l’article 2270-1, appliqué par la Cour, prévoit que le délai court « à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ». La Cour pourrait donc, sans contredire le texte, se rapprocher de l’esprit de la directive en raccourcissant le délai en le faisant démarrer au moment de la manifestation du dommage.

1 Le juge se fonde sur l’ancien article 2270-1, mais applique de facto l’article 2226. Ce point n’est « pas clair » (Borghetti, RDC 2018, n°2, p.192).

VI. Lien de causalité et affaires médicales

« Les difficultés que suscite la question de la causalité en matière de responsabilité du fait des produits défectueux concernent pour l’essentiel les produits de santé. » (RCA n°1, Janvier 2016, dossier 11)

Qu’il s’agisse de l’Isoméride, du vaccin contre l’hépatite B, du distilbène, de la Depakine ou du Mediator, les scandales liés aux médicaments alimentent depuis longtemps le contentieux des produits défectueux. Le principal intérêt de ces litiges réside dans les difficultés qu’ils posent dans l’appréciation du lien de causalité.

En effet, les médicaments peuvent avoir des effets secondaires qui mettront plusieurs dizaines d’années à se déclarer. Le meilleur exemple en est l’effet teratogène1 du distilbène : les victimes, souffrant d’infertilité, n’étaient que des fœtus dans le ventre de leur mère au moment de l’action du médicament. Elles agissent plus de vingt ou trente ans après. De plus, comment trancher lorsque la molécule concernée est présente dans deux médicaments similaires produits par deux laboratoires différents et que la victime ne peut pas établir lequel des deux est responsable ?

Enfin, il n’est pas évident de rattacher un effet secondaire à un seul facteur. Par exemple, des personnes ont reproché l’apparition d’une sclérose en plaques au vaccin contre l’hépatite B (VHB) : comment savoir qu’ils ne l’auraient pas eu s’ils n’avaient pas été vaccinés ?

Ces deux affaires sont sans doute les plus importantes juridiquement. Vu qu’elles sont déjà très complexes, je laisse les plus curieux se renseigner sur les autres scandales sanitaires.

Pour aller plus loin :

  • Sur l’Isoméride : Civ.1, 24 janv. 2006, n°02-16.648 ; RTD Civ. 2006.323 ; Droit social 2006 p.458 ;
  • Sur le Colchimax : Civ.1, 5 avril 2005, n°02-11.947 (RTD Civ. 2005.607) ; 22 mai 2008, n°07-17.200
  • Sur le Médiator : Civ.1, 25 février 2016, n°15-11.257 (RTD Civ. 2016.386) ; Civ1., 20 septembre 2017, n° 16-19.643 (RCA 2017, n° 11, étude 12)
  • RCA, n°1, Janvier 2016, dossiers 11, 12, 13, 14 ,15

1 Nocif pour les fœtus en gestation.

L’affaire distilbène

L’affaire du diéthylstilbestrol ou distilbène (un des médicaments contenant la molécule), « une hormone de synthèse prescrite aux femmes qui avaient des grossesses difficiles, entre les années 1950 et 1977 » (Brusorio-Aillaud p.93), apporte des réponses sur le lien de causalité et la causalité alternative.

Ce contentieux ne relève pas du régime des produits défectueux, le médicament ayant été mis en circulation bien avant la directive. Toutefois nous le traiterons ici car il concernerait, aujourd’hui, la directive et éclaire plusieurs aspects pouvant se révéler important pour les litiges actuels.

Ce produit causait cancer et infertilité aux personnes y étant exposées in utero.Le premier jugement date de 2002 (RTD civ. 2002. 527). Le juge « s’est appuyé sur les certificats médicaux produits pour retenir que la victime avait bien en été exposée in utero au risque du médicament. » Il a ensuite admis l’existence de « présomptions graves, précises et concordantes » prouvant le rôle allégué du distilbène. Cette décision a été confirmée en appel (CA de Versailles, 30 avril 2004, D. 2004. 20711), puis en cassation (Civ.1, 7 mars 2006, n°04-16.179). Pour apprécier le lien de causalité, la Cour d’appel s’était référée aux preuves scientifiques et avait relevé que :

  • le rapport d’experts diligentés par le TGI était accablant, concluant que l’usage de distilbène était « un facteur de risque majeur de survenue de l’adénocarcinome » ;
  • les risques étaient connus depuis longtemps, étant mentionnés dans un journal « largement diffusé auprès des médecins généralistes » et le médicament étant reconnu comme carcinogène par l’OMS depuis 1974 ;
  • il existait dès les années 1953-1954 des éléments faisant état « la survenance de cancers très divers » et, après 1971, de « nombreuses études expérimentales, des observations faites en clinique humaine et la position de la Food and drug administration américaine qui contre-indiquait l’utilisation du diéthylstilbestrol chez la femme enceinte auraient dû également conduire la société UCB Pharma à cesser la distribution du distilbène pour son usage en cours de grossesse ». Ces différents éléments traduisent une négligence fautive de la part des laboratoires (ex : CA Versailles, 6 novembre 2014, n°12/05632).

Cette affaire posait problème sur la désignation du responsable. En effet, il y avait deux médicaments utilisant le DES, le Distilbène et le Stilboestrol, produits par deux laboratoires différents. Comment savoir lequel avait commercialisé le médicament ayant causé le dommage ? Les juges ont mobilisé les règles de la « causalité alternative », que nous avons déjà vues, pour condamner in solidum les deux laboratoires.

Actuellement, l’essentiel du contentieux devant la Cour de cassation concerne le montant de l’indemnisation (Civ.2, 11 décembre 2014, n°13-27.440 ; 2 juillet 2015, n°14-19.481 ; Civ.2, 8 juin 2017, n°16-19.185 …) et parfois le lien de causalité, lorsque ce dernier est discutable (Civ.1, 11 janvier 2017,commenté).

1 Je vous encourage à lire de cet arrêt, qui est très détaillé. Notons que les argumentations liées au type de responsabilité en jeu varient entre les deux décisions. Toutefois, il n’y a aucune différence relative au lien de causalité.

Arrêts:

L’affaire du Vaccin contre Hépatite B (VHB), en bref

L’affaire distilbène est « petite » comparée au contentieux du VHB, qui s’étend sur de nombreux arrêts aux solutions variées et complexes.

Contrairement à l’affaire distilbène, le lien entre le VHB et la pathologie (sclérose en plaques) n’est ni infirmé ni confirmé par les données scientifiques (voir articles cités dans le prochain « pour en savoir plus »). Cela posait problème sur le plan du mode de preuve : comment démontrer ce lien sur la science n’en sait rien ?

La réponse, échafaudée par la Cour de cassation, puis confirmée par la CJUE a été de laisser les juridictions du fond décider si oui ou non les éléments de fait pouvaient constituer « des présomptions graves précises et concordantes » valant preuve du lien entre le vaccin et la maladie et de la défectuosité du vaccin. Ceci devra, toutefois, être apprécié au cas par cas.

Au-delà de ce principe, il y a une casuistique que je vous conseille de ne pas à essayer de comprendre. Elle n’a actuellement été l’objet d’aucune systématisation, je ne pense pas qu’on puisse légitimement vous le demander.

Pour aller plus loin :

  • Hacene A., « Vaccin contre l’hépatite B : présomptions de défectuosité et de causalité conditionnées », D.Actu, 31 octobre 2017
  • (Sur l’aspect scientifique de la question) S.Gromb, M.G.Kirman, « Vaccination contre l’hépatite B et sclérose en plaque », Médecine et droit, 2001, vol. 51, p.22-4 ; F. Maury, « Victimes du VHB (vaccin contre l’hépatite B) : faut-il attendre une certitude scientifique pour les indemniser ? », Médecine & Droit, 2004, p.125–132 ; Schütze T., Bouvet R. et Le Gueut M., « Vaccination hépatite B et sclérose en plaques : de l’incertitude médicale à l’indemnisation des victimes », Revue neurologique (Elsevier) 2014, n°170, p.520-526

L’affaire du VHB, le prélude

La Cour de cassation a dans un premier temps refusé de déclarer les producteurs de vaccins responsables en raison de l’incertitude entourant le lien entre le VHB et la sclérose en plaques (Civ.1, 23 septembre 2003, commenté).

Elle est revenue sur cette position par un arrêt du 22 mai 2008 (Civ.1, commenté), dans lequel elle a reconnu la possibilité d’apporter la preuve d’un lien de causalité par « des présomptions graves, précises et concordantes du caractère défectueux du vaccin litigieux, comme du lien de causalité entre un éventuel défaut et le dommage subi ».

La question de savoir si la défectuosité découlait mécaniquement du lien de causalité est complexe. Alors que l’arrêt du 22 mai 2008 laissait entendre que les deux étaient liés (RTD Civ.2013.131), un arrêt du 9 juillet 2009 (Civ.1, n°08-11.073) étudia la défectuosité indépendamment de la causalité et vérifier si la maladie était mentionnée parmi les effets secondaires de la notice.

De même, les arrêts du 26 septembre 2012 (Civ.1, n°11-17.738) et du 10 juillet 2013 (Civ.1, n°12-21.314) avaient cassé des arrêts admettant le lien de causalité, mais rejetant la défectuosité du produit au motif que le vaccin aurait un bilan bénéfice/risque favorable, ayant sauvé des milliers de vies. En effet, ces considérations étaient trop générales et la Cour d’appel aurait dû rechercher si, dans ce cas d’espèce, les « faits ne constituaient pas des présomptions graves précises et concordantes du caractère défectueux des doses qui lui avaient été administrées »1 .

Voici l’état du problème en 2015. Puis, un arrêt du 12 novembre 2015 (Civ. 1, n°14-18.118) posa une question jurisprudentielle à la CJUE, que nous étudierons dans la partie suivante …

1 Selon P.Jourdain (RTD civ. 2013. 131), par cet arrêt, la Cour de cassation « semble vouloir renouer avec ses arrêts antérieurs reliant la preuve du lien de causalité et celle du défaut, la seconde se déduisant de la première. »

Pour aller plus loin :

  • P.Jourdain, « Vaccination contre l’hépatite B : le défaut présumé à partir des présomptions de causalité », RTD Civ. 2013 p.131 ; J-S Borghetti, « Qu’est-ce qu’un vaccin défectueux ? », D. 2012. 2853

Arrêts:

L’affaire du VHB, la CJUE prend position

La CJUE (21 juin 2017, C-621/15) dégagea deux questions à la question préjudicielle qui lui posait la Cour de cassation (Civ.1, 12 novembre 2015, n°14-18.118) :

  • Une première question portait sur la possibilité, pour le juge du fond de retenir que certains éléments de fait invoqués par le demandeur constituent des indices graves, précis et concordants permettant de conclure à l’existence d’un défaut du vaccin et à celle d’un lien de causalité entre ce défaut et ladite maladie. (§18)
  • Une seconde question portait sur la possibilité de juger que le lien de causalité serait toujours considéré comme établi lorsque certains indices factuels prédéterminés de causalité sont réunis. (§44)

Le tout, considérant « que la recherche médicale n’établit ni n’infirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin concerné et la survenance de la maladie dont est atteinte la victime. »

En somme, la Cour de cassation lui demandait si le mode de preuve qu’elle admettait était conforme à la directive sur les produits défectueux.

La CJUE a jugé qu’imposer la charge d’une preuve scientifique certaine à la victime aurait dans ces litiges pour effet de rendre impossible la mise en cause de la responsabilité du producteur (§31) et de contredire plusieurs objectifs du présent régime, comme « celui d’assurer une juste répartition des risques inhérents à la production technique moderne entre la victime et le producteur » et « celui de protéger la sécurité et la santé des consommateurs » (§32).

La CJUE conclut que la directive ne s’opposait pas à ce que le juge déduise de certains éléments de fait constituant des indices graves, précis et concordants l’existence d’un défaut du vaccin et d’un lien de causalité entre ce défaut et la maladie. (§43)

Toutefois, la CJUE imposait que cette appréciation se fasse au cas par cas (§42), refusant, pour qu’il n’y ait pas d’inversement de la charge de la preuve (§36-54) que le lien de causalité soit systématiquement déduit de certains indices (§55).

A.Hacene a parfaitement synthétisé ce point : « Pour résumer, selon la CJUE, l’article 4 de la directive n’impose pas que causalité scientifique et causalité juridique coïncident. Il permet que la preuve du défaut et de la causalité repose sur des présomptions graves, précises et concordantes. Il interdit toutefois que ces mêmes indices soient érigés ipso facto en présomptions. » (D.Actu, 31 octobre 2017)

Qu’en était-il du lien entre imputabilité et défectuosité ? Si on interprète cette solution à la lettre, ce sera au juge du fond de déduire le défaut du lien de causalité ou non.

Cette interprétation est confirmée par le point §41, admettant qu’il soit possible de déduire la défectuosité du vaccin du lien de causalité entre ce dernier et la maladie.

En somme, le principe posé par la CJUE est en fait très simple : c’est le juge du fond qui décide au regard du cas d’espèce. Il s’agit en substance de la solution déjà affirmée par l’arrêt du 22 mai 2008 (Civ.1, n°06-10.967).

Pour aller plus loin :

  • Hocquet-Berg S., « Vaccination contre l’hépatite B – Sclérose en plaques consécutive à une vaccination contre l’hépatite B », RCA 2016 n°2, com. 60 ; Borghetti J-S., « Contentieux du vaccin contre l’hépatite B : en route vers Luxembourg ! », D.2015.2602

L’affaire du VHB : épilogue et perspectives

La Cour de cassation a tiré les conséquences de la décision de la CJUE dans deux arrêts du 18 octobre 2017 (Civ.1, n°14-18.118 ; 15-20.791). Notez que ces deux arrêts ont suivi le même chemin à un an d’intervalle à une petite différence prêt

L’arrêt du 18 octobre 2017 (Civ.1, n°14-18.118) portait sur le cas de Jack X qui avait présenté, au mois d’août 1999, après avoir été vacciné contre l’hépatite B en décembre 1998, janvier et juillet 1999, divers troubles ayant conduit, courant novembre 2000, au diagnostic de la sclérose en plaques.

L’arrêt d’appel (Versailles, 10 février 2011, n°09/07555) avait admis qu’il existait des présomptions graves précises et concordantes permettant de dire que le lien causal entre la maladie et la prise du produit était suffisamment établi, mais jugea que la défectuosité du vaccin n’était pas prouvée, celui-ci ayant sauvé de nombreuses vies et son rapport bénéfice/risque n’ayant jamais été remis en question.

Son arrêt est cassé le 26 septembre 2012 (Civ.1, n° 11-17.738), la Cour jugeant cette motivation trop générale et la Cour d’appel aurait dû rechercher si les circonstances qui avaient motivé sa reconnaissance du lien de causalité constituaient des présomptions graves, précises et concordantes de nature à établir le caractère défectueux des trois doses administrées à l’intéressé. La Cour d’appel de Paris s’acquitta de cette tâche le 7 mars 2014 (n°13/01546) en rejetant même l’existence du lien de causalité.

Suite à un autre pourvoi, la Cour de cassation avait posé une question préjudicielle à la CJUE et sursis à statuer (Civ.1, 12 novembre 2015, n°14-18.118). Suite à la réponse de la CJUE, que nous venons de commenter, le pourvoi a été finalement rejeté le 18 octobre 2017, la Cour se retranchant derrière l’appréciation souveraine des juges du fond.

L’arrêt du 18 octobre 2017 (Civ.1, n°15-20.791) est dans la suite de celui du 10 juillet 2013 (Civ.1, n°12-21.314), dont nous avons déjà parlé, et de celui qui avait prononcé le sursis à statuer en attendant la décision de la CJUE (Civ.1, 22 septembre 2016, n° 15-20.791).

L’espèce était la suivante : Mme X avait reçu, entre 1986 et 1993, plusieurs injections de VHB renouvelées du fait qu’elle ne développait pas d’anticorps. À partir de la fin de l’année 1992, elle s’est plainte d’épisodes de paresthésie des mains, puis, en 1995, d’un état de fatigue et de troubles sensitifs. Elle a dû cesser de travailler en juillet 1998 et le diagnostic de sclérose en plaques a été posé en décembre 1998.

Comme pour le litige que nous venons de voir, la Cour d’appel (Versailles, 5 avril 2012, n° 09/05661) avait reconnu l’existence d’un lien entre déclenchement de la sclérose en plaques et la vaccination, mais avait rejeté les demandes de la victime au motif qu’elle n’aurait pas démontré la défectuosité du produit.

Toutefois, comme l’arrêt du elle fondait déduisait l’absence de défaut du fait que le vaccin avait probablement sauvé des milliers de vies et qu’au niveau de la collectivité, le bilan coût/avantage avait été largement positif. Son arrêt a été partiellement cassé (Civ.1, 10 juillet 2013, n°12-21.314) sur ce dernier point, la Cour de cassation ayant jugé qu’une considération générale sur le rapport bénéfice/risques ne pouvait exclure la défectuosité du produit. La Cour d’appel aurait donc dû, l’imputabilité de la sclérose en plaques au vaccin ayant été établie, étudier si des circonstances ne « constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes du caractère défectueux des doses » administrées.

Le dernier arrêt d’appel (Paris, 17 Avril 2015, n°14/10164) avait refusé de reconnaître la défectuosité du produit, pour divers motifs1. L’arrêt du 22 septembre 2016 (Civ.1, n°15-20.791) avait sursis à statuer.

L’arrêt du 18 octobre 2017 (Civ.1, n° 15-20.791) rejeté le pourvoi contre l’arrêt refusant d’admettre la défectuosité du vaccin, reconnaissant ainsi que le vaccin auquel est imputable le déclenchement la sclérose en plaques n’est pas nécessairement défectueux.

La solution semble donc claire : il s’agit d’une casuistique relevant de l’appréciation souveraine du juge du fond. Toutefois, une réponse reste irrésolue : quel est le contrôle de la Cour de cassation sur celle-ci ?

1 Les détailler serait très long et n’apporterait sans doute rien, la jurisprudence étant très fluctuante.

Pour aller plus loin :

  • Borghetti J-S., « Contentieux du vaccin contre l’hépatite B : au bon plaisir des juges du fond », D.2018.490
  • Jourdain P., « Vaccination contre l’hépatite B : la Cour de cassation écarte la responsabilité des fabricants », RTD Civ. 2018.140

Arrêts: